Discours d'ouverture a la Rencontre Internationale des Instituts Séculiers
La nouvelle forme de vie consacré établie par la PME

 

1. Je désire tout d'abord remercier chaleureusement les organisateurs de ce congrès qui, s'inspirant des indications de la Sacrée Congrégation qui a la haute direction des Instituts Séculiers, ont préparé cette Rencontre avec une patience tenace et peuvent constater aujourd'hui, avec une légitime satisfaction, le résultat de leurs efforts. J'exprime ma reconnaissance la plus sincère au professeur Giuseppe Lazzati, qui préside cette Rencontre et qui nous a accueillis à la fois avec tant d'amabilité et tant d'espoir confiant. J'adresse également mes sentiments de vive reconnaissance au cher docteur Oberti, lequel, en sa qualité de Secrétaire du Comité d'Organisation, a consacré son temps, ses énergies et ses capacités à la réalisation de cette réunion qui couronne aujourd'hui son inlassable travail.

2. J'ai l'honneur et le plaisir de vous accueillir, chers Congressistes, à Rome avec les personnalités éminentes qui vous accompagnent et de vous souhaiter très cordialement la bienvenue.

3. Mes salutations ne s'adressent pas seulement à vous qui êtes présents, mais également à tous les membres des Instituts séculiers, à tous ceux qui sont associés à vos œuvres, et à tous vos amis qui vous soutiennent et vous admirent. Vous représentez en effet un grand nombre d'hommes et de femmes appartenant à différentes nations, qui, unis fraternellement par un même idéal de sanctification du monde, dans l'exercice exemplaire de leur apostolat, sont aujourd'hui un élément important dans la mission consistant à rendre la société toujours plus chrétienne, plus humaine et plus juste. Je salue également les prêtres membres des Instituts séculiers qui apportent dans leurs diocèses une contribution précieuse au travail pastoral accompli pour l'éducation spirituelle du peuple de Dieu, grâce à leur consécration personnelle et à leur dévouement généreux, en plein accord avec leurs évêques, dont ils sont les fidèles et dévoués collaborateurs.

Printemps de l'Église

4. Avant d'aborder le sujet des Instituts séculiers, je crois utiles quelques considérations de caractère général.

5. Les Instituts séculiers sont considérés par l'Église actuelle comme un printemps riche de promesses et d'espérances. Sans vouloir mentionner toute la série d'édifiantes associations qui ont toujours caractérisé le développement et l'expansion de l'Église, nous nous rappelons le plus récent épanouissement de ce printemps dans les Instituts séculiers, tels qu'ils sont conçus, formés et réalisés par la législation récente de la Constitution apostolique Provida Mater Ecclesia, du Motu Proprio Primo feliciter et de l'Instruction Cum Sanctissimus. I1 nous faut tout de suite remarquer qu'il s'agit de trois documents qui se complètent réciproquement et offrent une orientation sûre pour la sanctification des individus et l'exercice de l'apostolat.

6. Quant aux documents du Concile Vatican II, on a dit qu'ils étaient plutôt laconiques en ce qui concerne les Instituts séculiers. On doit cependant avouer que tout ce qui est dit sur les Instituts séculiers dans les textes conciliaires, est la synthèse des dispositions pontificales précédentes et constitue une reconnaissance claire, positive et solennelle non seulement de leur existence et de leur personnalité juridique, mais également des buts apostoliques qui les animent et les orientent. Un pionnier des Instituts séculiers, le regretté Père Agostino Gemelli, après avoir exposé dans une synthèse admirable l'œuvre des états de perfection à travers les siècles, souligne que l'époque actuelle a des exigences particulières sur le plan intellectuel et moral et qu'il faut apporter la bonne nouvelle dans toutes les couches sociales.

7. Provida Mater, qui est avant tout l'œuvre de l'âme apostolique et de la prévision intelligente du Père Larraona, aujourd'hui Cardinal, dit clairement comment l'histoire montre que l'Église a donné naissance à des organismes qui sont la preuve que "… même dans le monde, grâce à un appel spécial de Dieu et avec son aide, on peut obtenir une consécration suffisamment stricte et efficace, non seulement intérieure, mais également extérieure… ce qui permet de disposer d'un instrument particulièrement opportun de pénétration et d'apostolat".

8. On peut donc affirmer que l'histoire des Instituts séculiers est aussi vieille que l'Église. S'ils sont désormais canoniquement reconnus et s'ils ont une forme juridique, ce n'est au fond qu'une consécration de leur existence. Certains en effet veulent reconnaître dans les Instituts séculiers les authentiques héritiers des ferventes communautés de fidèles qui s'épanouirent dès la période apostolique et fleurirent à toutes les époques en des formes diverses, sous l'impulsion de la même grâce invisible et agissante, formant une fraternité inépuisable dans la famille chrétienne. On ne saurait non plus oublier que l'histoire nous parle de chrétiens vivant dans le monde qui, dès le temps de l'Église naissante, se consacraient à Dieu, reconnaissant dans cette consécration le moyen de vivre plus intensément leur baptême. La vie d'un grand nombre de saints est la preuve évidente de cette claire constatation que, dans le monde aussi, on peut et on doit témoigner de l'Évangile. Les Tiers-Ordres du Moyen-Age manifestent la sainteté vécue et pratiquée hors de la vie religieuse.

9. Malheureusement, avec le temps, une certaine confusion s'est introduite dans ce domaine. C'est pour cela que sainte Angèle Merici a voulu pourvoir à la nécessité d'assurer dans le monde la présence active d'âmes consacrées à l'apostolat.

Consécration dans le monde

10. Nous connaissons tous la définition classique des Instituts séculiers, telle que nous l'énonce Provida Mater: "Les associations de clercs et de laïcs, dont les membres, en vue d'atteindre la perfection chrétienne et d'exercer pleinement l'apostolat, pratiquent dans le monde les conseils évangéliques, sont désignées sous le nom d'Instituts séculiers…" .

11. L'Église reconnaît donc comme membres des Instituts séculiers ceux qui vivent leur consécration dans le monde pour faire rayonner le Christ et ses enseignements dans la société.

12. Comme l'a proclamé Pie XII dans le Motu Proprio Primo feliciter, l'Esprit Saint, en vertu d'une grâce à la fois grande et spéciale, a appelé à lui un grand nombre de fils et de filles bien-aimés, afin que, rassemblés et organisés dans les Instituts séculiers, ils deviennent le sel, la lumière et un levain efficace dans le monde, où, par disposition divine, ils doivent demeurer.

13. Les paroles de Pie XII trouvent leur écho également dans les documents conciliaires qui ont réaffirmé la nature, ont précisé les exigences et ont souligné le caractère propre et spécifique des Instituts séculiers, c'est-à-dire la sécularité. C'est là en effet le trait caractéristique et la raison d'être des Instituts séculiers. Tandis que les clercs et les laïcs qui deviennent religieux voient se modifier leur situation juridique et leurs relations publiques et sociales dans l'Église et se soumettent aux lois propres de leur état religieux, avec les droits et les devoirs correspondants, les clercs et les laïcs qui deviennent membres d'un Institut séculier restent ce qu'ils étaient auparavant. Le laïc demeure laïc dans le monde, et le clerc, qui auparavant était sujet de son Ordinaire diocésain, est doublement son sujet étant lié par un nouveau lien d'obéissance. En aucun cas ni les uns ni les autres ne sauraient être appelés religieux ou considérés comme tels.

14. La vie spirituelle des membres d'un Institut séculier se déroule dans le monde et avec le monde, ce qui implique une certaine souplesse et une certaine indépendance par rapport aux formes et aux modèles propres des religieux. Leur vie extérieure ne se différencie pas de celle des autres séculiers célibataires, car leurs tâches et leurs activités sont dans le monde, où ils peuvent occuper des emplois et des charges que les religieux ne sauraient exercer. S'ils le désirent et selon leurs statuts, ils peuvent vivre en famille (et la plupart d'entre eux le font en effet) ou en commun (Provida Mater, art. III, par. 4) et exercer n'importe quelle activité professionnelle licite. Ils doivent sanctifier le profane et le temporel, se sanctifier eux-mêmes dans le profane et porter le Christ dans le monde. Ils sont les collaborateurs de Dieu dans le monde de la science, de l'art, de la pensée, du progrès, des structures sociales, techniques, économiques et culturelles, dans les engagements civils de toute nature: en famille, dans les écoles, dans les usines, dans les champs, dans les hôpitaux, dans les casernes, dans les administrations publiques, dans les œuvres d'assistance, dans tous les secteurs de l'immense et actif panorama du monde. Ils sont, en d'autres termes, appelés à voir et à reconnaître en eux-mêmes et dans ce qui les entoure quelque chose de mystérieux et de divin qui les mène à Dieu à travers les éléments de la nature, comme il est dit dans Gaudium et spes (no. 38). D'innombrables aspects du monde sont éclairés par la lumière qui jaillit de ce principe.

15. Les membres des Instituts séculiers sentent que le Christ vierge, pauvre et obéissant a annoncé son message de chasteté, de pauvreté et d'obéissance a des hommes comme eux, vivant dans le monde. Ce message est encore plein d'actualité et il est répété aux hommes de notre temps dans la simplicité et la candeur de la parole divine telle qu'elle a jailli du coeur du Rédempteur. Même si ce message n'est accueilli et compris que par le petit nombre, ces quelques-uns n'en constituent pas moins le levain providentiel qui conserve et multiplie le don de Dieu.

16. L'apparition des Instituts séculiers est donc un phénomène qui témoigne de la vitalité de l'Église, qui se renouvelle dans sa perpétuelle jeunesse et ne manque jamais de reprendre de nouvelles forces. L'Église a accueilli avec faveur cette nouvelle manifestation d'âmes désireuses de se sanctifier dans le monde en professant d'une manière stable les conseils évangéliques, et elle l'a sanctionnée en vertu d'une loi, en conférant une valeur juridique au désir de s'assurer la perfection chrétienne et d'exercer l'apostolat. C'est ainsi qu'aux deux états de perfection déjà reconnus - Religions et Sociétés de vie commune - vient s'adjoindre la troisième forme: celle des Instituts séculiers.

"Lex Peculiaris"

17. Toute la législation du Saint-Siège témoigne de son intention de bien définir et de bien préciser ce nouvel état de perfection.

18. La Lex Peculiaris (Provida Mater) précise bien la différence avec les Congrégations et les Sociétés de vie commune, en exposant toute une série d'éléments, tels que la consécration, le caractère du lien, etc., qui spécifient et éclairent le type de société nouvelle créée par Provida Mater. L'instruction Cum Sanctissimus résume clairement ces normes fondamentales de la constitution et de l'organisation des Instituts séculiers dès leur commencement.

19. L'intervention par laquelle le Magistère de l'Église approuve une société donnée comme Institut de perfection, comporte également un jugement sur la conformité de cette société avec la législation qui doit en régler la vie et les fonctions. L'Église en effet veut, en organisant une nouvelle forme d'état de perfection, que toutes les associations possédant les caractéristiques essentielles de ce nouvel état, soient organisées conformément aux normes énoncées. Et ce n'est que lorsque ces associations apparaissent dotées des conditions requises, qu'elles sont reconnues comme Instituts séculiers.

20. La Congrégation compétente a toujours voulu éviter toute altération de ces Instituts en insistant sur l'importance essentielle de leur caractère spécifique: état de pleine consécration à Dieu dans le monde, exigeant que toutes les conditions requises pour les Instituts séculiers soient observées scrupuleusement, en commençant justement par la sécularité, qui spécifie cet état de perfection. La sécularité - j'y insiste - s'identifie avec le contenu positif et substantiel de celui qui vit comme un "homme parmi les hommes", un "chrétien parmi les chrétiens du monde", qui "a la conscience d'être un parmi les autres" et en même temps "a la certitude d'être appelé à une consécration totale et stable à Dieu et aux âmes" sanctionnée par l'Église.

21. En consacrant ses membres à suivre le Christ, l'Institut séculier les rend aussi capables d'orienter vers Dieu leurs activités personnelles dans le monde et leur permet de les consacrer elles aussi en quelque sorte, puisqu'elles font partie de leur offrande totale à Dieu. C'est de cette manière que s'accomplit pour les membres des Instituts séculiers cette forme caractéristique d'apostolat "ex saeculo" dont parle Primo feliciter.

22. Le décret Perfectae caritatis résume bien cette doctrine lorsqu'il affirme que "… les Instituts séculiers comportent une profession véritable et complète des conseils évangéliques dans le monde", ajoutant aussitôt après: "Les Instituts doivent conserver leur physionomie propre, c'est-à-dire le caractère séculier" .

23. Cette consécration enrichit de la substance théologique propre aux conseils évangéliques la vie des fidèles, la personnalité ecclésiale et la consistance même des Instituts.

Éléments substantiels

24. En reconnaissant dans les Instituts séculiers les éléments substantiels des Instituts de vie consacrée, le Concile Vatican II rappelle, selon Primo feliciter, les caractéristiques spécifiques de ces Instituts, qui ressortent de trois éléments constitutionnels: a) la profession des conseils évangéliques de pauvreté, chasteté, obéissance; b) le fait de s'obliger à ces conseils par un lien stable (vœu, promesse, serment) reconnu et réglé par le droit de l'Église; c) la sécularité, qui s'exprime dans toute la vie de l'associé et en imprègne toutes les activités apostoliques. Ces trois éléments sont complémentaires, et également nécessaires et indiscutables. Si l'un d'entre eux manquait dans un Institut, celui-ci ne pourrait être séculier. En effet, le charisme de base serait différent et par conséquent l'Institut devrait trouver dans la réglementation canonique une définition juridique plus adéquate. Les trois éléments mentionnés peuvent donc se résumer dans la formule: "Engagement (ou lien) stable et reconnu par l'Église, à la profession des conseils évangéliques, dans le contexte séculier".

25. Ces trois éléments essentiels, de nature théologico-juridique, tout en définissant et en précisant la physionomie propre de ces Instituts, servent aussi à les distinguer soit des Instituts religieux, soit des nombreuses et différentes formes d'association existant dans l'Église, dont l'essor croissant et progressif est providentiel et bien connu de tous.

26. On comprend alors la raison pour laquelle la Constitution apostolique Regimini Ecclesiae universae (15 août 1967) a donné au Dicastère préposé aux Instituts de perfection la dénomination de "Sacrée Congrégation pour les Religieux et les Instituts séculiers". On a voulu ainsi préciser sans équivoque les différences intrinsèques existant entre les ordres religieux (et les Société assimilées) et les nouvelles formes de vie consacrée dans le monde.

Renouvellement

27. Les Instituts séculiers en sont encore à leurs débuts, et ne sembleraient donc pas être sujets à l'aggiornamento ou renouvellement décrété par le Concile, auquel sont appelées toutes les communautés pour revenir aux sources et faire revivre l'esprit de leurs fondateurs.

28. Pour ce qui est des Instituts séculiers, nous devons réaffirmer que seuls ceux dont les caractéristiques correspondent aux conditions fixées par les documents pontificaux peuvent être reconnus comme tels. Par conséquent, si certains Instituts séculiers, peut-être influencés par le climat alors imprégné de la struc¬ture traditionnelle de la vie religieuse, s'étaient écartés des indications précises de Provida Mater, de Primo feliciter et de Cum Sanctissimus, ils devraient réexaminer leurs positions et revenir aux sources de la législation des trois documents pontificaux. Bien entendu, cette éventuelle mise au point devra être faite de concert avec l'autorité compétente, qui seule peut être juge en une matière aussi importante.

29. En tout cas, il est clair que, du moment que les Instituts séculiers ne peuvent être considérés comme des Instituts religieux (cf. Décret Perfectae caritatis, no. 11), leur législation doit être formulée de manière à exclure toute confusion avec celle des religieux et doit être précisée avec une terminologie ne permettant pas d'interprétation erronée.

30. La diversité entre les Instituts religieux et les Instituts séculiers est tellement nette et précise et, comme nous venons de le dire, intrinsèque, qu'il est difficile de comprendre comment le renouvellement des Instituts religieux pourrait consister à se transformer en Instituts séculiers. En effet les Instituts religieux, d'après le Décret Perfectae caritatis, se renouvellent en revenant à l'esprit de leurs fondateurs, réalisé dans l'équilibre réfléchi d'une vie qui certes doit être modifiée, c'est-à-dire améliorée, mais non pas bouleversée.

31. Lorsqu'un Institut religieux prouve qu'il est incapable de vivre selon le charisme de sa fondation, on peut difficilement le croire capable d'assimiler l'esprit d'un Institut séculier, car il ne s'agit pas simplement de structures canoniques, mais bien plutôt d'une vocation donnée par Dieu et confirmée par l'Église.

32. Un faux aggiornamento des Instituts religieux qui en conduirait quelques-uns à adopter les modalités de la vie consacrée "dans le monde", estomperait la figure ecclésiale propre des Instituts séculiers, mais serait surtout très nuisible aux Instituts religieux eux-mêmes. En effet, cette manière de procéder serait cause du nivellement et de l'appauvrissement de la vie religieuse, dont parlait le Saint-Père Paul VI dans son discours aux supérieures générales en novembre 1969, et, en dernière analyse, provoquerait la sécularisation de l'état religieux, en lui enlevant ce qui le caractérise et le spécifie parmi les Instituts de perfection de l'Église. Un Institut religieux qui se sécularise perd sa nature, sa physionomie, pour donner naissance à un organisme de consistance douteuse. Et qu'il me soit permis d'ajouter qu'il existe dans certains Instituts un état de difficulté et de malaise que seule une compréhension des aspects essentiels de la vie religieuse est à même de dissiper.

33. A leur tour, les Instituts séculiers doivent savoir que leur avenir est garanti par leur fidélité à leur vocation, qui en fait le levain des activités apostoliques dans le monde avec un charisme propre et bien distinct.

Incompréhensions et espérances

34. I1 convient maintenant d'ajouter que les Instituts séculiers n'ont pas toujours été bien compris et qu'on ne leur a pas toujours attribué l'importance qu'ils méritent.

35. Toute nouveauté dans l'Église, si elle fait naître espoir et enthousiasme, suscite aussi certaines réserves et certaines méfiances. Cela s'est vérifié aussi pour les Instituts religieux, dont beaucoup sont passé par le creuset de la critique et de l'opposition pour être ensuite reconnus et admis comme facteurs d'authentique spiritualité et de vigoureux apostolat.

36. On ne saurait donc s'étonner si les Instituts séculiers, qui apportent un souffle de vie nouvelle dans l'Église, sont parfois l'objet d'incompréhension, de contestation et peut-être même d'opposition. Les Instituts séculiers ne sont pas compris par ceux qui voudraient les faire entrer dans les cadres précédents et les revêtir des formes consacrées par la vie religieuse. La même incompréhension est manifestée par ceux qui hésitent devant des mouvements qui ouvrent la voie à une plus large intelligence des exigences de notre époque et à une pratique plus souple de l'Évangile.

37. Les hommes et les femmes qui veulent se consacrer au Christ sans sortir du monde, peuvent aujourd'hui choisir les Instituts séculiers comme un moyen sûr de sanctification et comme un instrument efficace d'apostolat actif et fécond. Ils ont non seulement le droit, mais ressentent aussi le besoin d'être compris et soutenus.

38. On pourrait peut-être penser ici que, m'étant attardé sur le caractère spécifique des Instituts séculiers, c'est-à-dire la sécularité, j'ai voulu mettre au second plan la consécration, c'est-à-dire la profession des conseils évangéliques. Si, après avoir réaffirmé à plusieurs reprises la force intrinsèque de la consécration, j'ai insisté sur la sécularité, je l'ai fait justement parce que notamment dans certains secteurs, il faut préciser davantage la valeur de cette caractéristique de Instituts séculiers, pour éviter les confusions et les polémiques stériles qui pourraient en résulter.

39. Pour certains - qui n'appartiennent certes pas à des Instituts séculiers - la sécularité ne serait en effet qu'une apparence, un aspect purement phénoménal qui masquerait une réalité très différente. Ceci est absolument faux. On doit considérer la sécularité dans son contenu logique, qui est le plus simple, le plus normal le plus complet, le plus communément admis. De même que le baptême, la confirmation et l'Ordre laissent intacte la sécularité spécifique du fidèle, ainsi la consécration des Instituts séculiers laisse intacte la sécularité de leurs membres. Mais il est également vrai, et il importe par conséquent de bien le savoir, que la nécessaire distinction entre les Instituts séculiers et les Instituts religieux, justifiée par la sécularité des premiers, ne doit en aucune manière faire sous-estimer la consécration, patrimoine commun des uns et des autres, car c'est l'âme même de la nouvelle réalité communautaire que l'Église a voulu promouvoir en créant les Instituts séculiers.

40. Avec la consécration, on ne saurait oublier non plus la question de la formation des membres d'Instituts séculiers, ni les aspects variés ou les différents types d'Instituts séculiers, qui ont tous même droit de cité, dans les limites définies par les documents pontificaux et conciliaires.

41. Consécration, formation, typologie des Instituts séculiers sont des sujets auxquels je me permets une simple allusion, étant certain que, de même qu'on ne manquera pas d'en traiter au cours de cette assemblée, il se présentera de nombreuses occasions d'en parler avec l'ampleur et l'approfondissement qu'ils méritent.

Les prêtres des Instituts séculiers

42. Avant de terminer, je ne puis m'empêcher d'exprimer quelques pensées sur les Instituts séculiers sacerdotaux et, plus exactement, sur les prêtres qui, pour mieux répondre à leur vocation de consécration à Dieu et de service des âmes entrent dans les Instituts séculiers pour s'enrichir d'une spiritualité qui les attache toujours plus étroitement au Christ et les relie toujours plus intimement à leur évêque, pour en être les collaborateurs fidèles et efficaces.

43. Dans (Presbyterorum Ordinis (no. 8), le Concile affirme que "les associations sacerdotales sont dignes d'estime et de vifs encouragements: grâce à leurs statuts ratifiés par l'autorité ecclésiastique compétente, elles proposent une règle de vie adaptée et convenablement approuvée, et un soutien fraternel qui aident les prêtres à se sanctifier dans l'exercice du ministère; de ce fait, elles se mettent au service de l'Ordre des prêtres tout entier".

44. Remarquons que le Concile a établi ce principe en faveur des associations sacerdotales sur le droit naturel d'association, qui appartient, servatis servandis, à tous les fidèles et à tous les hommes.

Lorsqu'au sein du Concile on discuta sur le droit d'association des prêtres, la Commission Conciliaire compétente donna la réponse suivante approuvée par la Congrégation générale du 2 décembre 1965: "On ne saurait nier aux prêtres ce que le Concile, tenant compte de la dignité de la nature humaine, a déclaré justement des laïcs, car c'est conforme au droit naturel". Donc les prêtres aussi jouissent du droit de former des associations répondant aux besoins du clergé, pour vivre plus intensément leur vie spirituelle, pour travailler plus efficacement dans le domaine apostolique, pour entretenir une communion plus intime avec leurs confrères, pour servir leur évêque avec une dévotion toujours plus fidèle et plus désintéressée.

45. L'un des points sur lesquels se base la vie des prêtres inscrits à des Instituts séculiers est le droit de se servir des moyens spirituels qui leur conviennent le mieux pour vivre leurs engagements de prêtres diocésains et répondre ainsi de la manière la plus efficace aux exigences de leur caractère diocésain. Si la hiérarchie doit veiller sur les prêtres, les aider et les orienter, elle ne saurait cependant leur refuser ni entraver le développement de leur élévation spirituelle lorsque celle-ci s'accomplit dans le cadre des doctrines approuvées par l'Église.

46. On ne saurait non plus confondre les prêtres diocésains inscrits à des Instituts séculiers avec ceux qui font partie d'autres associations, car les premiers se sont engagés à vivre d'une manière stable les conseils évangéliques dans une société reconnue par l'Église à cette fin, ce qui ne se vérifie pas pour les seconds. Aussi les Instituts séculiers sacerdotaux ont-ils été placés sous la vigilance de la Sacrée Congrégation qui a charge de la sainteté des liens de perfection et en favorise le développement.

47. Les prêtres diocésains des Instituts séculiers, répandus dans presque tous les pays du monde, doivent se distinguer par la pureté et la pauvreté de leur vie, par l'obéissance à leur évêque et par le dévouement à leur mission, en apportant dans l'Église la contribution d'un authentique apostolat évangélique, pour la diffusion du Royaume de Dieu. La présence de ces prêtres, à cause de leur fidélité à l'Église, est un rempart sûr, au sein du clergé diocésain, contre les dangers croissants qui menacent leur ministère.

48. Il convient en outre de remarquer que les constitutions des Instituts séculiers sacerdotaux sont explicites et éloquentes à ce sujet. Les prêtres qui en font partie restent non seulement liés à leur évêque en vertu de la promesse faite au moment de leur ordination, mais ils lui sont soumis également parce que membres d'un Institut séculier. Les statuts contiennent en effet une clause explicite précisant qu'en ce qui concerne les tâches pastorales, ils dépendent exclusivement de leur évêque, qui peut les nommer là où il le juge opportun et peut leur confier n'importe quelle tâche, puisqu'ils se sont engagés à être toujours prêts et disponibles, même pour les postes les plus ingrats et pour l'apostolat le plus difficile.

49. Une des exigences les plus grandes des Instituts séculiers sacerdotaux est l'esprit de pauvreté et de détachement des biens de la terre. A une époque où l'on parle tellement de l'Église des pauvres, il nous faut admettre qu'aucun apostolat n'est vraiment efficace sur les âmes, si le prêtre n'est pas pauvre, généreux et rempli d'amour pour les plus déshérités. Or, les Instituts séculiers facilitent la pratique de la pauvreté aux prêtres qui s'y sont engagés par vœu, serment ou promesse spéciale. Les Constitutions des Instituts séculiers sacerdotaux qui s'inspirent des normes de Provida Mater définissent la pauvreté du prêtre dans ce qu'il y a de plus beau, de plus pratique et de plus expressif.

50. Il est prouvé que les Instituts séculiers assurent aux prêtres une vie spirituelle intense au milieu des dangers qui aujourd'hui menacent tout particulièrement la vocation sacerdotale. L'ancien évêque de Nantes écrivait à la Sacrée Congrégation des Religieux: "Si nous voulons maintenir dans notre clergé actuel une profonde vie intérieure, nous ne trouverons pas de meilleur moyen que l'agrégation à une Société qui fasse tendre tous ses membres à la perfection, par la pratique des vœux".

51. Enfin, les Instituts séculiers assurent la formation des prêtres qui en font partie, grâce à des pratiques de piété, à des réunions, à des cercles d'études, où l'on enseigne une ascèse sûre, où l'on explique les encycliques des Papes et les décrets conciliaires, où l'on prépare les instructions pour les fidèles, etc.

52. De ce que nous venons de dire, nous pouvons conclure qu'il est providentiel pour un évêque de pouvoir compter toujours et sans réserve sur la piété, la science théologique, la fidélité et l'esprit de collaboration des prêtres. Il serait donc souhaitable que les prêtres diocésains soient membres d'un Institut ou d'une association pour qu'ils puissent vivre à fond le sacerdoce du Christ et en imiter les vertus. Il me plaît d'évoquer à ce propos les paroles que S.S. Paul VI adressait en 1965 aux prêtres de la FACI (AAS, 1965, p. 648): "I1 est notoire, malheureusement, que l'un des dangers les plus graves auxquels le clergé en général et celui qui a charge d'âmes en particulier est exposé, peut être l'isolement, la solitude, la perte de contact avec ses confrères et parfois avec la population elle-même. Face à cette douloureuse éventualité la FACI nourrit dans le clergé le programme, le besoin, nous pourrions dire la conscience de l'union, non pas syndicale ou opérationnelle, mais fraternelle et active, de tous les prêtres entre eux".

53. Ces paroles expriment bien l'esprit fraternel des prêtres membres d'Instituts séculiers, qui ne veulent que réaliser la collaboration la plus étroite avec leur évêque, qu'ils vénèrent et qu'ils aiment, l'entente réciproque entre les membres du presbyterium diocésain et le bien du peuple qui leur est confié.

Conclusion

54. A l'ouverture de cette Rencontre internationale, j'ai voulu poser quelques postulats que j'estime fondamentaux pour les buts de votre réunion, et qui inspireront, en définitive, tous les distingués orateurs qui prendront la parole sur les différents thèmes examinés. Dans le déroulement du programme de cette semaine et au cours des débats qui suivront, les représentants des Instituts ici présents apporteront la contribution de leur expérience et pourront manifester leur pensée, en exprimant leur opinion en toute liberté. Il importe que chacun dise ce qu'il pense être, ce qu'il estime utile de faire, ce qu'il désire que l'on fasse dans le cadre de la doctrine et des documents que nous avons cités, soit du Souverain Pontife, soit, plus récemment, du Concile.

55. J'ai enfin l'agréable devoir d'adresser une parole de félicitations aux Instituts séculiers qui, à cette heure troublée et tourmentée, ont veillé à l'exercice de leur apostolat dans un esprit d'admirable discipline, étrangère à certaines contestations extravagantes, qui sont parfois arrivées jusqu'au seuil du sanctuaire. Il s'agit d'un fait très positif, dont la signification est éloquente. Les Instituts séculiers, tout en étant sujets aux nécessaires évolutions et aux opportunes mises au point suggérées par les circonstances, ont une forme propre, solide et consistante, qui n'a pas provoqué de manifestations extérieures de dissentiment ou de contraste à l'égard de ce qui constitue leur patrimoine. I1 s'agit d'un patrimoine qui a pour base l'Évangile et se développe sur une voie rectiligne: la vie de perfection et l'exercice de l'apostolat dans le monde, dans la saine liberté spirituelle qui est le propre des fils de Dieu.

56. Heureux d'avoir fait cette constatation bien fondée, je le suis aussi de vous adresser mes meilleurs vœux ainsi que ceux de mes collaborateurs de la Sacrée Congrégation, afin qu'avec l'aide de Dieu "a quo cuncta procedunt" vous puissiez accomplir un travail fécond, vous puissiez toujours plus profondément vous comprendre les uns les autres et collaborer fraternellement pour votre sanctification personnelle et pour le bien de la société dans laquelle vous êtes destinés à vivre et dans laquelle, répondant à l'appel de l'Église, vous répandrez la lumière et la chaleur de l'Évangile du Christ.

Rome, le 20 septembre 1970

Aux participants a la Rencontre Internationale des Instituts Séculiers
L'efficacité apostolique dépend de la sanctification personelle

 

Chers Fils et chères Filles dans le Seigneur,

1. Soyez les bienvenus. Nous accueillons votre visite avec beaucoup de considération, en raison de ce qui vous distingue dans l'Église de Dieu, sans que le monde en voie les signes extérieurs, c'est-à-dire votre qualité de représentants des Instituts séculiers réunis en Congrès, et en raison des intentions qui vous ont incités à faire cette visite.

2. Vous vous présentez, en effet, à nous dans une attitude de confiance, en nous manifestant ce que vous êtes: des personnes consacrées au Christ dans la vie séculière; et dans une attitude de fidèle et généreuse offrande à l'Église, en interprétant ses finalités premières: célébrer l'union mystérieuse et surnaturelle des hommes avec Dieu le Père, union instaurée par le Christ, notre Maître et Sauveur, moyennant l'effusion de l'Esprit Saint; et instaurer l'union entre les hommes en les servant de toutes les manières, sur le plan de leur bien-être naturel et sur celui de leur fin supérieure, le salut éternel.

3. Nous sommes vivement intéressé et ému par cette rencontre qui évoque pour nous les prodiges de la grâce, les richesses cachées du royaume de Dieu, les ressources incalculables de vertus et de sainteté dont dispose encore l'Église aujourd'hui, cette Église qui, comme vous le savez, vit au milieu d'une humanité profane et parfois profanatrice, fière de ses conquêtes temporelles, mais fuyant la rencontre avec le Christ alors qu'elle en aurait tant besoin; cette Église qui est traversée par quantités de courants ne favorisant pas tous son développement dans l'unité et la vérité auxquelles le Christ voudrait que ses fils aspirent avidement; cette Église, olivier multiséculaire et historique, dont le tronc tourmenté et noueux semblerait incarner davantage la vieillesse et la souffrance que la vitalité printanière, mais qui est aujourd'hui capable, comme vous le montrez, de donner une nouvelle et vigoureuse frondaison, et de promettre des fruits d'une abondance insoupçonnée. Dans cette Église d'aujourd'hui vous représentez un phénomène caractéristique et très consolant. C'est en cette qualité que nous vous saluons et que nous vous encourageons.

4. Nous pourrions, et nous aimerions, vous dire comment l'Église vous voit et - depuis ces dernières années - vous reconnaît; vous dire ce qu'est votre réalité théologique dans l'enseignement du IIe Concile du Vatican (Lumen gentium, 44; Perfectae caritatis, 11), ce qu'est la description canonique des formes institutionnelles que revêtent ces Instituts de chrétiens consacrés au Seigneur et séculiers, quelles sont leur place et leur fonction dans le peuple de Dieu, leurs caractères distinctifs, leurs dimensions et leurs formes.

5. Mais nous avons pensé que tout cela, vous le connaissez fort bien, et ce regard sur vous-mêmes, sur ce que vous êtes, est peut-être superflu. Nous savons la sollicitude dont vous entoure le dicastère de la Curie romaine qui est chargé de vous guider et de vous assister; nous connaissons les exposés approfondis qui ont été faits pendant votre Congrès. Plutôt que de tracer encore une fois votre image canonique, nous préférons nous arrêter, avec discrétion et sobriété, sur l'aspect psychologique et spirituel de votre façon particulière de marcher sur les traces du Christ.

6. Arrêtons un instant notre regard sur l'origine intérieure, personnelle et spirituelle - nous dirions volontiers: secrète - de ce phénomène, sur votre vocation. Si celle-ci a beaucoup de caractères communs avec les autres vocations qui s'épanouissent et devraient s'épanouir davantage dans l'Église de Dieu, elle s'en distingue cependant par certaines caractéristiques propres qui méritent d'être considérées à part.

7. Nous voulons d'abord souligner l'importance des activités réflexives dans la vie de l'homme. Ces activités sont très estimées dans la vie chrétienne, et elles ne manquent pas d'intérêt, spécialement dans certaines périodes de la vie des jeunes, parce qu'elles sont déterminantes Nous appelons conscience ces activités réflexives, et chacun en sait la signification et l'importance. On parle beaucoup de la conscience aujourd'hui; que de fois revient ce terme, à commencer par le rappel continuel de sa lointaine aurore chez Socrate, puis de son réveil dû principalement au christianisme, sous l'influence duquel, dit un historien, "le fond de l'âme a été changé" (cf. TAINE, III, 125).

8. Nous portons notre attention ici sur le moment particulier, connu de vous tous, où la conscience psychologique, c'est-à-dire la perception intérieure que l'homme a de lui-même, devient conscience morale (cf. S. Th., 1, 79, 13); où la conscience psychologique perçoit l'exigence d'agir selon une loi intérieure, inscrite dans le cœur de l'homme, mais obligeant extérieurement, dans la vie réelle, comportant des responsabilités très hautes et finalement un rapport avec Dieu. La conscience psychologique devient alors conscience religieuse. Le Concile dit à ce propos (Gaudium et spes, 16): "Au fond de sa conscience, l'homme découvre la présence d'une loi qu'il ne s'est pas donnée lui-même, mais à laquelle il est tenu d'obéir. Cette voix ne cesse de le presser d'aimer et d'accomplir le bien et d'éviter le mal ... Car c'est une loi inscrite par Dieu au cœur de l'homme; sa dignité est de lui obéir, et c'est elle qui le jugera (cf. Rom., 2, 14-16). La conscience est le centre le plus secret de l'homme, le sanctuaire où il est seul avec Dieu". (Ici le Concile se réfère à un admirable discours de Pie XII du 23 mars 1952, Discorsi ..., 14, p. 19 et s.).

9. Dans cette première phase de l'activité réflexive que nous appelons conscience, apparaît chez l'homme le sens de la responsabilité et de la personnalité, la perception des principes existentiels et leur développement logique. Ce développement logique chez le chrétien se souvenant de son caractère baptismal conduit aux notions fondamentales de la théologie sur l'homme qui a conscience d'être fils de Dieu, membre du Christ, incorporé dans l'Église, revêtu de ce sacerdoce commun des fidèles dont le Concile a rappelé la féconde doctrine (cf. Lumen gentium, 10-11) et d'où naît l'obligation pour tout chrétien d'aspirer à la sainteté (cf. Ibid., 39-40), à la plénitude de la vie chrétienne, à la perfection de la charité.

10. A un moment donné, et non sans la lumière fulgurante de la grâce, cette conscience, cette obligation s'éclaire intérieurement et devient vocation. Vocation à une réponse totale: pour certains, vocation à professer vraiment et complètement les conseils évangéliques; pour d'autres, vocation sacerdotale; pour quiconque entend cet appel dans son coeur, vocation à la perfection - vocation à une consécration par laquelle l'homme fait à Dieu le don de lui-même, en un acte à la fois de volonté et d'abandon. La conscience devient un autel sur lequel on s'immole: " que ma conscience soit ton autel", dit saint Augustin (En. in Ps. 49; PL XXXVIII, 578). C'est le fiat par lequel Marie répond à l'annonce de l'ange.

11. Nous sommes encore dans le domaine des activités réflexives, que nous allons appeler vie intérieure: ici la vie intérieure se transforme en dialogue; le Seigneur est présent: "la conscience des saints est demeure de Dieu", dit encore saint Augustin (En. in Ps. 45; PL XXXVI, 520). On s'adresse au Seigneur, mais pour lui demander ce qu'il attend de nous, comme saint Paul à Damas: "Seigneur, que faut-il que je fasse?" (Actes, 9,5). La consécration baptismale de la grâce devient alors consciente et s'exprime en une consécration morale volontaire, qui s'étend aux conseils évangéliques et aspire à la perfection chrétienne. Telle est la première décision, la décision capitale qui engage toute la vie.

12. Et quelle est la seconde décision? Nous en arrivons alors à l'élément nouveau qui fait votre originalité. Quelle sera en fait la seconde décision? Pour vivre cette consécration, quel mode de vie choisira-t-on? Devrons-nous abandonner notre forme de vie séculière ou pourrons-nous la conserver? A cette question que vous lui avez posée, l'Église a répondu: vous êtes libres de choisir, vous pouvez demeurer séculiers. Guidés par des motifs, certainement bien pesés, vous avez choisi de demeurer séculiers, c'est-à-dire de garder la forme de vie commune à tous, dans la vie du monde. Et par un choix ultérieur devant le pluralisme permis aux Instituts séculiers, chacun s'est déterminé selon ses préférences propres. C'est pourquoi vos Instituts s'appellent Instituts séculiers, pour se distinguer des Instituts religieux.

13. Cela ne veut pas dire que le choix que vous avez fait pour parvenir à la perfection chrétienne, que vous aussi vous vous proposez, soit un choix facile parce qu'il ne vous sépare pas du monde, de la vie profane, où les valeurs préférées sont les valeurs temporelles, et où, bien souvent, la loi morale est exposée à de continuelles et redoutables tentations. Votre discipline morale devra donc toujours être faite de vigilance et d'initiative personnelle. A chaque instant, le sens de votre consécration devra lui faire trouver la bonne voie; l'abstine et sustine des moralistes devra constamment être en oeuvre dans votre spiritualité. Voilà une nouvelle et habituelle activité réflexive, et donc un état d'intériorité personnelle qui accompagne le déroulement de la vie extérieure.

14. Un domaine immense sera ainsi ouvert à votre double mission: d'une part, votre sanctification personnelle, c'est-à-dire votre âme, et, d'autre part, la consecratio mundi, tâche si délicate et attirante, comme vous le savez, c'est-à-dire le monde des hommes, tel qu'il est, avec son actualité inquiète et éblouissante, avec ses vertus et ses passions, avec ses possibilités de bien et son attirance vers le mal, avec ses magnifiques réalisations modernes et ses secrètes déficiences ou ses inévitables souffrances. Vous marchez sur un plan incliné, où la tentation de facilité mène vers en bas, mais où l'on est stimulé à l'effort qui mène vers en haut. C'est une marche difficile, pour des alpinistes spirituels.

15. Mais dans votre hardi programme de vie, rappelez-vous trois choses:

1° Votre consécration ne sera pas seulement une obligation, elle sera une aide, un soutien, un amour, une joie qui sera toujours à votre disposition; une plénitude qui compensera tous vos renoncements et vous ouvrira à ce merveilleux paradoxe de la charité: donner, donner aux autres, donner au prochain pour posséder dans le Christ.

16. 2° Vous êtes dans le monde, non pas du monde, mais pour le monde. Le Seigneur nous a enseigné à découvrir sous cette formule, qui semble un jeu de mots, sa et notre mission de salut. Rappelez-vous que, précisément parce que vous appartenez à des Instituts séculiers, vous avez une mission de salut pour les hommes de notre temps. Aujourd'hui, le monde a besoin de vous, qui vivez dans le monde, pour ouvrir au monde les voies du salut chrétien.

17. 3° L'Église, elle aussi, fait partie de cette réflexion dont nous avons parlé. Le "sens de l'Église ", présent en vous comme l'atmosphère intérieure que vous respirez, doit faire l'objet d'une continuelle et habituelle méditation.

18. Nous devons tous l'avoir, mais je dirai que pour vous il devient l'aliment normal, habituel: vous devez respirer le sens de l'Église. Vous en avez déjà certainement éprouvé l'ivresse. Inépuisable inspiration à laquelle, spécialement après le Concile, les données de la théologie et de la spiritualité apportent un souffle tonifiant. Parmi ces données, il en est une que vous devez toujours avoir présente à l'esprit: vous appartenez à l'Église à un titre spécial, votre titre de consacrés séculiers; eh bien! sachez que l'Église a confiance en vous. L'Église vous suit, elle vous soutient, elle vous considère comme siens, comme des fils de choix, comme des membres actifs et conscients qui lui sont fermement attachés, qui sont bien exercés à l'apostolat, disponibles pour le témoignage silencieux, pour le service, et, s'il le faut, le sacrifice. Vous êtes des laïcs qui font de leur profession chrétienne une force constructrice pour soutenir la mission et les structures de l'Église, les diocèses, les paroisses, spécialement les institutions catholiques, et animer leur spiritualité ainsi que leur charité. Vous êtes des laïcs qui, par expérience directe, êtes mieux à même de connaître les besoins de l'Église terrestre, et peut-être aussi d'en découvrir les défauts. Que ces défauts ne vous incitent pas à une critique corrosive et peu généreuse; qu'ils ne soient pas un prétexte pour vous séparer, pour vous tenir égoïstement et dédaigneusement à l'écart, mais un stimulant à un service plus humble et plus filial, à un plus grand amour.

19. Vous, Instituts séculiers de l'Église d'aujourd'hui, portez nos salutations et nos encouragements à vos frères et à vos sœurs, et recevez tous notre Bénédiction apostolique.

Rome, le 26 septembre 1970.

A l'occasion du XXVe Anniversaire de Provida Mater Ecclesia
Être dans le monde et le transforme de l'intérieur

 

Très Chers Fils, membres d'Instituts séculiers!

1. En ce jour consacré au souvenir liturgique de la présentation de Jésus au Temple, c'est volontiers que nous vous accueillons pour commémorer ensemble le XXVe anniversaire de la promulgation de la Constitution Apostolique Provida Mater, publiée le 2 février 1947 (cf. A.A.S. XXXIX, 1947, pp. 114-124). Ce document représente un événement très important pour la vie présente de l'Église. Notre Prédécesseur Pie XII, de vénérée mémoire, accueillait ainsi dans l'Église, sanctionnait et approuvait les Instituts séculiers, et en précisait la physionomie spirituelle et juridique. Heureux jour, pour vous; jour significatif, où, à l'imitation du Christ venu dans le monde et s'offrant au Père pour accomplir sa volonté (cf. Ps 39,9; Heb 10,9), vous fûtes aussi présentés à Dieu pour briller devant toute l'Église, pour consacrer vos vies à la gloire du Père et à l'élévation du monde.

2. Combien nous sommes heureux, nous aussi, de cette rencontre! Car nous nous souvenons bien des circonstances dans lesquelles mûrit ce document historique, vraie magna carta des Instituts séculiers, lesquels, déjà préparés antécédemment par l'Esprit qui suscite de secrètes impulsions dans les âmes, y reconnurent leur accueil officiel par l'Autorité Suprême, leur acte de naissance et le point de départ d'un élan nouveau vers l'avenir, et cela grâce surtout à l'action du vénéré Cardinal Larraona.

3. Vingt-cinq ans, c'est un temps relativement court; toutefois ces années ont été particulièrement intenses et comparables à celles de la jeunesse. Floraison magnifique, dont témoigne votre présence ici en ce moment, et la réunion des Responsables Généraux de tous les Instituts séculiers, projetée pour Je mois de septembre, à Rome. Nous désirons donc vous adresser quelques paroles d'encouragement, de confiance; d'exhortation, afin que ce jubilé soit vraiment fécond en résultats, pour vous et pour tout le Peuple de Dieu.

Dans la perspective de Vatican II

4. Les Instituts séculiers doivent être encadrés dans la perspective en laquelle le IIe Concile du Vatican a présenté l'Église: comme une réalité vivante, visible et spirituelle tout ensemble (cf. Lumen gentium, 8); qui vit et se développe dans l'histoire (cf. ib. 3,5,6,8); composée de beaucoup de membres et d'organes divers, mais intimement unis et communiquant entre eux (cf. ib. 7); participant à la même foi, à la même vie, à la même mission, à la même responsabilité et cependant distincts par un don, un charisme particulier de l'Esprit vivificateur (cf. ib. 7,12), donné non seulement pour le bien personnel, mais aussi pour le bien de toute la communauté. L'anniversaire de la Constitution Provida Mater; Constitution qui voulut exprimer et approuver votre charisme particulier, vous invite donc, selon l'indication du Concile, à "revenir aux sources de toute votre vie chrétienne et à l'esprit primitif de vos Instituts" (Perfèctae caritatis,2), à vérifier votre fidélité au charisme originel propre à chacun.

5. Si nous nous demandons quelle a été l'âme de chaque Institut séculier, ce qui a inspiré sa naissance, son développement, nous devons répondre: ce fut le besoin profond d'une synthèse; ce fut l'aspiration à l'affirmation simultanée de deux caractéristiques: 1) la pleine consécration de la vie selon les conseils évangéliques et 2) la pleine responsabilité d'une présence et d'une action transformante au-dedans du monde, pour le modeler, le perfectionner et le sanctifier. D'une part la profession des conseils évangé¬liques - forme de vie qui sert à alimenter et à témoigner cette sainteté à laquelle tous les fidèles sont appelés - est le signe de l'identification parfaite avec l'Église, avec le Seigneur et Maître lui-même, avec la finalité qu'il a assignée à l'Église. D'autre part, rester dans le monde est un signe de la responsabilité chrétienne de l'homme sauvé par le Christ, et à cause de cela engagé à "éclairer et orienter toutes les réalités temporelles... afin qu'elles se réalisent et prospèrent constamment selon le Christ et soient à la louange du Créateur et Rédempteur" (Lumen gentium, 31).

6. Dans ce tableau, on ne peut pas ne pas voir une coïncidence profonde et providentielle entre le charisme des Instituts séculiers et ce qui a été une des lignes les plus importantes et les plus nettes du Concile: la présence de l'Église dans le monde. En effet, l'Église a fortement accentué les divers aspects de sa relation au monde: elle a répété clairement qu'elle fait partie du monde, qu'elle est destinée à le servir, qu'elle doit en être l'âme et le ferment, car elle est appelée à le sanctifier, à le consacrer et à refléter sur lui les valeurs suprêmes de la justice, de l'amour et de la paix.

Vers un monde nouveau

7. L'Église a conscience du fait qu'elle existe dans le monde, qu'elle "fait ainsi route avec toute l'humanité et partage le sort terrestre du monde; qu'elle est comme le ferment et pour ainsi dire l'âme de la société humaine" (Gaudium et spes, 40). Elle a par conséquent une dimension séculière authentique, inhérente à sa nature intime et à sa mission, dont la racine plonge dans le mystère du Verbe Incarné, et qui s'est réalisée sous des formes diverses dans ses membres - prêtres et laïcs - selon leur propre charisme.

8. Le magistère pontifical ne s'est jamais lassé, spécialement au cours des dernières années, d'appeler les chrétiens à assumer valablement et loyalement leurs propres responsabilités dans le monde. C'est d'autant plus nécessaire aujourd'hui que l'humanité se trouve à un point crucial de son histoire. Un monde nouveau est en train de naître; les hommes cherchent de nouvelles formes de pensée et d'action qui détermineront leur vie dans les siècles à venir. Le monde pense pouvoir se suffire à lui-même et n'avoir besoin ni de la grâce divine ni de l'Église pour se construire et se dilater: un divorce tragique s'est creusé entre la foi et la vie vécue, entre le progrès technico-scientifique et la croissance de la foi dans le Dieu vivant. Non sans raison, on affirme que le problème le plus grave du développement actuel est dans le rapport entre l'ordre naturel et l'ordre surnaturel. L'Église de Vatican II a écouté cette "vox temporis", et lui a répondu par une conscience claire de sa mission dans le monde et dans la société, elle sait qu'elle est le "sacrement du salut universel"; elle sait qu'il n'est pas de plénitude humaine sans la grâce, c'est-à-dire sans le Verbe de Dieu qui est "le terme de l'histoire humaine, le point vers lequel convergent les désirs de l'histoire et de la civilisation, le centre du genre humain, la joie de tous les cœurs et la plénitude de leurs aspirations " (Gaudium et spes, 45).

9. En un moment tel que celui où nous vivons, les Instituts séculiers, en vertu de leur charisme de sécularité consacrée (cf. Perfectae caritatis, 11), apparaissent comme des instruments providentiels pour incarner cet esprit et le transmettre à l'Église tout entière. Si dès avant le Concile, ils ont en quelque sorte anticipé existentiellement cet aspect, à plus forte raison doivent-ils actuellement être les témoins spécialisés et exemplaires de la disposition et de la mission de l'Église dans le monde . Pour l'aggiornamento de l'Église aujourd'hui, il ne suffit pas d'avoir des directives claires et des documents fréquents: il faut des personnalités et des communautés conscientes de leur responsabilité d'incarner et de transmettre l'esprit voulu par le Concile. A vous, cette mission exaltante: donner inlassablement l'impulsion à la relation nouvelle que l'Église cherche à incarner dans le monde et au service du monde.

Double réalité

10. De quelle manière? Par la double réalité de votre configuration.

11. Tout d'abord, votre vie consacrée dans l'esprit des conseils évangéliques est l'expression de votre appartenance indivisible au Christ et à l'Église, de la tension permanente et radicale vers la sainteté et de la conscience que, en dernière analyse, c'est le Christ seul qui par sa grâce réalise l'œuvre de rédemption et de transformation du monde. C'est dans l'intime de vos cœurs que le monde est consacré à Dieu (cf. Lumen gentium, 34). Ainsi votre vie est garante que le rapport intense et direct avec le monde ne dégénère pas en mondanité ou naturalisme, mais est l'expression de l'amour et de la mission du Christ. Votre consécration est la racine de l'espérance qui doit toujours vous soutenir, même lorsque les fruits extérieurs sont peu abondants ou manquent totalement. Votre vie est féconde pour le monde non tant par les œuvres extérieures que par l'amour du Christ qui vous a poussés au don total, dont vous témoignez dans les conditions ordinaires de la vie

12. Dans cette lumière, les conseils évangéliques, bien qu'étant communs à toutes les formes de vie consacrée, acquièrent une signification nouvelle, d'une actualité spéciale pour le temps présent. Dans un monde replié sur lui-même et livré d'une manière incontrôlée à ses instincts, la chasteté, toute tendue vers les réalités célestes, apparaît comme un exercice vivant de domination de soi et de vie dans l'esprit. La pauvreté devient le modèle de la relation que l'on doit avoir avec les biens créés, de leur usage correct, dans une attitude valable soit pour les pays développés, où le désir de posséder menace sérieusement les valeurs évangéliques, soit dans les pays moins bien pourvus, où votre pauvreté est un signe de solidarité et de présence parmi les frères éprouvés. L'obéissance devient un témoignage de l'humble acceptation de la médiation de l'Église et, d'une manière plus générale, de la sagesse de Dieu qui gouverne le monde à travers les causes secondes, et en ce moment de crise de l'autorité votre obéissance témoigne aussi de ce qu'est l'ordre chrétien de l'univers.

Pour la sanctification de l'ordre naturel

13. En second lieu, à la différence des religieux, votre sécularité vous pousse à accentuer spécialement la relation avec le monde. Cette relation ne représente pas seulement une condition sociologique, un fait extérieur, mais bien une attitude: être présents dans le monde, se savoir responsables pour le servir, pour le configurer selon Dieu en un ordre plus juste et plus humain, pour le sanctifier du dedans. La première attitude à prendre devant le monde est le respect de son autonomie légitime, de ses valeurs et de ses lois (Gaudium et spes, 36). Cette autonomie ne signifie pas, nous le savons, indépendance absolue de Dieu, Créateur et fin ultime de l'univers. Prendre au sérieux l'ordre naturel, en travaillant à son perfectionnement et à sa sanctification, afin que ses exigences soient intégrées dans la spiritualité, dans la pédagogie, dans l'ascétique, dans la structure, dans les formes extérieures et dans l'activité de vos Instituts, est une des dimensions importantes de cette caractéristique spéciale de votre sécularité. Ainsi sera-t-il possible, comme le requiert Primo feliciter que "votre caractère propre et particulier, le caractère séculier, se reflète en toutes choses" (II).

14. Les nécessités du monde étant très variées, de même que les possibilités d'action dans le monde et avec les instruments du monde, il est naturel que surgissent diverses formes d'actualisation de cet idéal: formes individuelles ou associées, cachées ou publiques, selon les indications du Concile (cf. Apostolicam Actuositatem, 15-22). Toutes ces formes sont également possibles aux Instituts séculiers et à leurs membres. La pluralité de vos formes de vie (cf. Vœu sur le Pluralisme, Congrès international des Instituts séculiers, Rome 1970) vous permet de constituer divers types de communautés et de donner vie à votre idéal en divers milieux, et par divers moyens, même là où l'on ne peut porter témoignage à l'Église que sous une forme individuelle, cachée et silencieuse.

Responsabilité sacerdotale

15. Une parole encore pour les prêtres qui s'unissent aux Instituts séculiers. Le fait est prévu expressément par l'enseignement de l'Église, à partir du Motu Proprio Primo feliciter et du Décret Conciliaire Perfectae caritatis. Par lui-même, le prêtre en tant que tel a lui aussi, comme le laïc chrétien, une relation au monde essentielle, qu'il doit réaliser d'une manière exemplaire dans sa propre vie, pour répondre à sa vocation; c'est pourquoi il est envoyé dans le monde comme le Christ fut envoyé par le Père (cf. Jn 20,21). Mais, comme prêtre, il assume une responsabilité spécifiquement sacerdotale, pour une juste conformation de l'ordre temporel. A la différence du laïc, - sauf dans des cas exceptionnels, comme l'a prévu un vœu du dernier Synode Épiscopal - il n'exerce pas cette responsabilité par une action directe et immédiate dans l'ordre temporel, mais par son action ministérielle, et moyennant son rôle d'éducateur de la foi (cf. Presbyterorum Ordinis, 6) et c'est le moyen le plus élevé pour contribuer à ce que le monde se perfectionne constamment, selon l'ordre et la signification de la création.

16. En s'agrégeant à un Institut séculier, le prêtre en tant que séculier justement, reste lié en intime union d'obéissance et de collaboration à l'Évêque; et, ensemble avec les autres membres du presbyterium, il aide ses confrères dans la grande mission de coopérateurs de la vérité, entretenant ces "liens particuliers de charité apostolique, de ministère et de fraternité" (Presbyterorum Ordinis, 8) qui doivent distinguer cet organisme diocésain. En outre, en vertu de son appartenance aux Instituts séculiers, le prêtre bénéficie d'une aide pour cultiver les conseils évangéliques. Nous savons bien que cette appartenance est un problème profond et vivement ressenti; il doit être résolu dans le respect du "sensus Ecclesiae". Nous savons aussi, qu'à ce propos vous êtes à la recherche de solutions adéquates, et nous encourageons cet effort, que l'on doit tenir pour valable, dans ce secteur si délicat.

Les rapports avec les Évêques

17. Un problème existe effectivement, et il se pose en termes d'une triple exigence, dont chacune est très importante: l'exigence représentée par la "sécularité" du prêtre membre d'un Institut séculier; l'exigence, en outre, que ce prêtre garde un contact intime avec son Institut, duquel il attend un aliment spirituel, une restauration et un soutien pour sa propre vie intérieure; enfin l'exigence de rester dans une stricte dépendance de l'Évêque du diocèse.

18. Nous savons, et nous venons de vous le dire, que vous faites en ce moment des études sur ce sujet, dans le but de concilier ces exigences apparemment opposées. Cherchez librement dans cette ligne; mettez au service de cet approfondissement les talents de votre préparation, de votre sensibilité, de votre expérience. Nous nous permettons seulement d'appeler votre attention sur les points que voici:

19. a) Nulle solution ne doit toucher tant soit peu à l'autorité de l'Évêque, lequel est par droit divin l'unique responsable direct du troupeau, de la portion de l'Église de Dieu (cf. Ac 20,28).

20. b) En outre, dans votre recherche ne perdez pas de vue cette réalité: l'homme est une unité personnelle, psychologique et active. Ce n'est que conceptuellement que l'on distingue en lui la dimension spirituelle et la dimension pastorale.

21. Ce disant, nous ne voulons pas, et nous nous permettons de le souligner, conditionner et encore moins mettre un terme à la recherche en cours en vous indiquant d'ores et déjà une solution. Nous voulons seulement vous inviter à tenir compte, au long de votre étude, de ces deux points qui nous paraissent d'une importance capitale.

22. Nous voici parvenus au terme de nos considérations, même si beaucoup de choses restent à dire, et bien des développements restent ouverts. Mais c'est avec une joie profonde que nous vous exprimons notre désir et notre espérance: que vos Instituts soient de plus en plus les modèles de ce que le Concile a voulu infuser à l'Église, afin de surmonter la menace dévastatrice du sécularisme, qui exalte uniquement les valeurs humaines, les détachant de Celui qui en est l'origine et de qui elles reçoivent leur signification et leur finalité ultime; et afin que l'Église soit vraiment le ferment du monde.

23. L'Église a besoin de votre témoignage! L'humanité attend que l'Église incarne toujours plus cette nouvelle attitude devant le monde, attitude qui, en vertu de votre sécularité consacrée, doit briller en vous d'une manière toute spéciale. C'est à cela que vous encourage notre Bénédiction Apostolique, que de tout coeur nous vous donnons, à vous ici présents, et à tous les membres des Instituts séculiers si méritants et qui nous sont si chers.

Rome, le 2 février 1972

Aux Responsables Généraux des Instituts Séculiers
Un don spécifique pour l'Eglise

 

Chers fils et chères filles dans les Seigneur,

1. L'occasion nous est donnée d'une nouvelle rencontre avec vous, dirigeants des Instituts séculiers, qui êtes et représentez un rameau vigoureux et florissant de l'Église en ce moment de l'histoire. La circonstance de votre présence ici est aujourd'hui le congrès international qui vous réunit à Nemi, près de notre résidence d'été de Castel Gandolfo, et au cours duquel vous avez étudié les statuts de la "Conférence Mondiale des Instituts Séculiers" (C.M.I.S.) qui doit être créée.

2. Nous ne voulons pas nous immiscer dans vos travaux, qui se déroulent certainement avec sérieux et application, avec l'aide vigilante et la participation du Dicastère compétent, et dont nous souhaitons qu'il portera des fruits abondants pour le développement de vos Instituts.

3. Nous voudrions plutôt faire quelques réflexions sur ce que pourrait être le rôle des Instituts séculiers dans le mystère du Christ et dans le mystère de l'Église.

4. En vous voyant ici et en pensant aux milliers et aux milliers d'hommes et de femmes que vous représentez, nous ne pouvons pas ne pas nous sentir consolé et envahi par un vif sentiment de joie et de reconnaissance envers le Seigneur. Combien l'Église du Christ apparaît forte et florissante en vous! Aujourd'hui, certains, même parmi ses fils, déversent sur cette mère vénérable des critiques amères et impitoyables; certains se délectent à décrire ses soi-disant signes de décrépitude et à prévoir sa ruine.

5. Or, nous voyons que jaillissent d'elle constamment de nouvelles pierres précieuses et une floraison inattendue d'initiatives de sainteté. Nous savons qu'il doit en être ainsi et qu'il ne pourrait pas en être autrement parce que le Christ est la source divine et inépuisable de la vitalité de l'Église. Votre présence nous en offre un nouveau témoignage et elle est pour nous tous l'occasion d'en reprendre conscience.

6. Mais nous voulons voir de plus près la physionomie qui vous est propre dans la famille du Peuple de Dieu. Vous exprimez, en effet, une "façon propre" dont le mystère du Christ peut être vécu dans le monde et une "façon propre" dont le mystère de l'Église peut se manifester.

7. Il y a, dans le Christ rédempteur, une telle plénitude, que nous ne pouvons jamais la comprendre ni l'exprimer totalement. I1 est tout pour son Église et, en elle, ce que nous sommes, nous le sommes précisément par lui, avec lui et en lui. Également pour les Instituts séculiers, il demeure donc le modèle suprême, celui qui leur donne leur inspiration, la source à laquelle il faut puiser.

8. En prenant pour fondement le Christ sauveur, et à son exemple, vous exercez une importante mission de l'Église d'une façon caractéristique qui vous est propre. Mais l'Église aussi, à sa façon, comme le Christ, est une plénitude et une richesse telles que personne, aucune institution, ne pourraient jamais d'eux-mêmes la comprendre et l'exprimer d'une façon adéquate. I1 ne nous serait pas possible d'en découvrir les dimensions, parce que sa vie, c'est le Christ, qui est Dieu. Donc, également, la réalité et la mission de l'Église ne peuvent être exprimées complètement que dans la pluralité de ses membres. C'est la doctrine du Corps mystique du Christ, la doctrine des dons et des charismes de l'Esprit Saint.

9. Tout ceci nous amène, vous l'avez bien compris, à nous interroger sur la façon qui vous est propre d'exercer la mission de l'Église. Quel est votre don spécifique, votre rôle caractéristique? Qu'apportez-vous de nouveau à l'Église d'aujourd'hui? Ou bien: de quelle manière êtes-vous Église aujourd'hui? Cela, vous le savez; vous l'avez dit clairement à vous-mêmes et à la communauté chrétienne, nous le supposons.

10. D'une façon mystérieuse, vous êtes au point de rencontre de deux puissants courants de la vie chrétienne et vous accueillez les richesses de l'un et de l'autre Vous êtes laïcs et consacrés comme tels par les sacrements du baptême et de la confirmation; mais vous avez choisi d'accentuer votre consécration à Dieu par la profession des conseils évangéliques, assumés comme obligations par un lien stable et reconnu. Vous demeurez laïcs, engagés dans les valeurs séculières propres et particulières au laïcat (Lumen gentium, 31), mais votre sécularité est une "sécularité consacrée" (Paul VI, discours aux dirigeants et membres des Instituts séculiers à l'occasion du 25e anniversaire de Provida Mater - L'Osservatore Romano, 3 février 1972); vous êtes des "consacrés séculiers" (Paul VI, discours aux participants au Congrès international des Instituts séculiers, 26 septembre 1970, Insegnamenti, VIII, p. 939).

11. Cependant, tout en étant "séculière", votre situation diffère d'une certaine manière de celle des simples laïcs, car si vous êtes engagés dans les mêmes valeurs du monde, vous l'êtes en tant que consacrés, c'est-à-dire non tant pour affirmer la valeur intrinsèque des choses humaines en elles-mêmes que pour les orienter explicitement dans le sens des Béatitudes de l'Évangile. D'autre part, vous n'êtes pas religieux, mais d'une certaine manière votre choix coïncide avec celui des religieux parce que la consécration que vous avez faite vous situe dans le monde comme témoins de la suprématie des valeurs spirituelles et eschatologiques, c'est-à-dire du caractère absolu de votre charité chrétienne. Plus celle-ci est grande, plus elle fait apparaître la relativité des valeurs du monde; et, en même temps, elle vous aide vous-mêmes, ainsi que vos autres frères, à en bien user.

12. Aucun des deux aspects de votre physionomie spirituelle ne peut être surestimé au détriment de l'autre. L'un et l'autre sont coessentiels.

13. Le mot "sécularité" exprime votre insertion dans le monde. Mais il ne signifie pas seulement une position, une fonction qui coïncide avec la vie dans le monde du fait de l'exercice d'un métier, d'une profession "séculière" . I1 doit signifier avant tout que vous prenez conscience d'être dans le monde comme "dans le lieu propre où doit s'exercer votre responsabilité chrétienne". Être dans le monde, c'est-à-dire engagés dans des valeurs séculières, telle est votre façon d'être Église et de rendre l'Église présente, de vous sauver et d'annoncer le salut. Votre condition existentielle et sociologique devient votre réalité théologique et votre voie pour réaliser le salut et en témoigner. Vous êtes ainsi une aile avancée "dans le monde"; vous exprimez la volonté de l'Église d'être "dans le monde pour le transformer, pour travailler comme du dedans à sa sanctification, à la façon d'un ferment" (Lumen gentium, 31), tâche qui elle aussi est confiée principalement au laïcat. Vous êtes une manifestation particulièrement concrète et efficace de ce que l'Église veut faire pour construire le monde tel qu'il est décrit et souhaité par Gaudium et spes.

14. Quant au mot "consécration", il exprime la structure intime et secrète qui porte votre être et votre activité. C'est là que réside votre richesse profonde et sacrée que les hommes au milieu desquels vous vivez ne savent pas expliquer et que souvent ils ne peuvent même pas soupçonner. Votre consécration baptismale est devenue plus radicale à la suite d'une plus grande exigence d'amour suscitée en vous par l'Esprit Saint. Il ne s'agit pas d'une consécration revêtant la même forme que celle propre aux religieux; elle est cependant telle qu'elle vous conduit à choisir fondamentalement de vivre selon les Béatitudes de l'Évangile. De sorte que vous êtes réellement consacrés et réellement dans le monde. "Vous êtes dans le monde, non du monde, mais pour le monde", comme nous vous l'avions dit en une autre circonstance (Paul VI, Discours aux participants au Congrès international des Instituts séculiers, 26 septembre 1970, Insegnamenti, VIII, p. 939). Vous vivez une véritable consécration proprement dite selon les conseils de l'Évangile, mais sans que celle-ci soit pleinement visible, comme c'est le cas pour la consécration religieuse, où le caractère visible est constitué d'abord par les vœux publics, ensuite par une vie communautaire plus étroite et le "signe" de l'habit religieux. Votre forme de consécration, nouvelle et originale, est suggérée par l'Esprit Saint pour être vécue au milieu des réalités temporelles et pour insérer la force des conseils de l'Évangile - c'est-à-dire des valeurs divines et éternelles - au milieu des valeurs humaines et temporelles.

15. La pauvreté, la chasteté et l'obéissance, que vous avez choisies sont un moyen de participer à la croix du Christ, parce que vous vous unissez à lui en vous privant de biens qui sont par ailleurs licites et légitimes. Mais elles sont aussi un moyen de participer à la victoire du Christ ressuscité en vous libérant des entraves que ces valeurs pourraient facilement mettre à votre pleine disponibilité d'esprit. Votre pauvreté dit au monde que l'on peut vivre au milieu des biens temporels et que l'on peut user des moyens mis à notre disposition par la civilisation et le progrès sans en devenir esclave. Votre chasteté dit au monde que l'on peut aimer d'un amour désintéressé et inépuisable qui vient du coeur de Dieu, et que l'on peut se consacrer joyeusement à tous sans se lier à aucun, en ayant surtout le souci des plus délaissés. Votre obéissance dit au monde que l'on peut être heureux sans pour autant s'installer dans les choix confortables que l'on aura faits soi-même, mais en restant pleinement disponibles à la volonté de Dieu telle qu'elle nous est manifestée dans la vie de tous les jours, par les signes des temps et par ce qui est exigé pour le salut du monde d'aujourd'hui.

16. Ainsi votre vie consacrée permet à votre activité dans le monde tant personnelle que collective, dans les secteurs professionnels où vous êtes engagés individuellement ou collectivement - de s'orienter elle aussi plus nettement vers Dieu, en étant d'une certaine manière insérée et transportée dans votre consécration. Par cette disposition singulière et providentielle, vous enrichissez l'Église d'aujourd'hui en donnant un exemple particulier de sa vie "séculière" vécue d'une façon consacrée et un exemple particulier de sa vie "consacrée" vécue d'une façon séculière.

17. Nous voudrions ici nous arrêter sur un aspect particulier de la fécondité de vos Instituts. Nous nous tournons vers le groupe nombreux de ceux qui, consacrés au Christ dans le sacerdoce ministériel et désirant s'unir à lui par un nouveau lien exprimant le don d'eux-mêmes, font profession des conseils évangéliques dans un Institut séculier. Nous pensons à ces frères dans le sacerdoce du Christ et nous voulons les encourager, tandis que nous admirons en eux, encore une fois, l'action de l'Esprit, qui suscite inlassablement l'aspiration à une perfection toujours plus grande. Tout ce que nous avons dit jusqu'à maintenant vaut certainement aussi pour eux, mais il faudrait l'approfondir et le préciser davantage. En effet, ils font profession des conseils évangéliques et ils s'engagent dans les valeurs "séculières" non en tant que laïcs, mais en tant que clercs, c'est-à-dire en étant porteurs d'une médiation sacrée dans le Peuple de Dieu. Outre le baptême et la confirmation, qui constituent la consécration de base du laïcat dans l'Église, ils ont reçu dans l'Ordre sacré une spécification sacramentelle qui les a investis de fonctions ministérielles déterminées pour l'Eucharistie et le Corps mystique du Christ. Cela a laissé intact le caractère "séculier" de leur vocation chrétienne et ils peuvent donc l'enrichir en la vivant comme "consacrés" dans les Instituts séculiers. Mais bien différentes sont les exigences de leur spiritualité, ainsi que certaines de ses implications extérieures sur la façon dont ils pratiquent les conseils évangéliques et leur engagement séculier.

18. Nous voulons maintenant conclure en adressant à tous une invitation pressante et paternelle: entretenez, développez et ayez à coeur, toujours et partout, la communion ecclésiale. Vous êtes des éléments vitaux de cette communion parce que vous aussi vous êtes l'Église. Veuillez ne jamais porter atteinte à votre efficience sur ce point. On ne pourrait jamais concevoir ni comprendre un phénomène ecclésial en dehors de l'Église. Ne vous laissez jamais surprendre ni même effleurer par la tentation, aujourd'hui trop facile, de croire qu'une authentique communion avec le Christ est possible sans une réelle harmonie avec la communauté ecclésiale gouvernée par les pasteurs légitimes. Vous vous tromperiez et vous vous feriez illusion. Que pourrait signifier un individu ou un groupe, même avec les intentions subjectivement les plus nobles et les plus parfaites, sans cette communion? Le Christ nous l'a demandée comme une garantie pour nous admettre à la communion avec lui, de la même façon qu'il nous a demandé d'aimer notre prochain pour témoigner de notre amour pour lui.

19. Vous êtes donc du Christ et pour le Christ, dans son Église. L'Église, c'est votre communauté locale, votre Institut, votre paroisse, mais toujours dans la communion de foi, d'Eucharistie, de discipline et de fidèle et loyale collaboration avec votre évêque et la hiérarchie. Vos structures et vos activités ne devront jamais vous conduire - que vous soyez prêtres ou laïcs - à des positions équivoques ni à des divergences entre votre attitude intérieure et votre attitude extérieure, et encore moins à vous opposer à vos pasteurs.

20. C'est à cela que nous vous invitons; c'est cela que nous vous souhaitons pour que vous puissiez être au milieu du monde, de la façon qui vous est propre, des ouvriers authentiques de l'unique mission de salut confiée à l'Église, cette mission à laquelle vous avez été appelés et invités. Que le Seigneur vous aide alors à prospérer et à porter encore davantage de fruits, avec notre Bénédiction apostolique.

Castel Gandolfo, 20 septembre 1972

Discours d'Introduction a l'Assemblée des Responsables Généraux
Sens ecclésial et la joie propre de la consécration séculière

 

Mes chers frères et amis,

1. Je voudrais vous saluer avec les mots que l'apôtre Paul adressa aux Romains: "Que le Dieu de l'espérance vous donne en plénitude dans votre acte de foi la joie et la paix, afin que l'espérance surabonde en vous par la vertu de l'Esprit Saint" (Rm 15,13).

2. C'est un souhait sincère, au commencement de votre rencontre auprès du Seigneur (Mc 6, 30), concernant trois attitudes que le monde contemporain - dans lequel vous êtes pleinement insérés de par votre vocation particulière - attend de vous: une paix profonde et sereine, une joie contagieuse, une espérance inébranlable et créatrice.

3. Que la prière - thème de votre Assemblée - vous rende artisans de paix, véhicules de joie et prophètes d'espérance. Nous en avons besoin. Les hommes nos frères en ont besoin, eux à qui le Christ nous envoie, à cette heure de l'histoire, pour leur annoncer la Bonne Nouvelle du Salut (cf. Rm 1,16).


I

4. Au début des travaux de cette Assemblée je voudrais vous offrir quelques simples réflexions. I1 ne s'agit pas d'un discours d'ouverture, mais bien de réflexions qu'un frère et ami vous communique. Je voudrais vous dire, en toute simplicité, ce que devrait être, à mon sens, votre Assemblée.

5. Tout d'abord, un événement, un fait ecclésial. C'est l'Église tout entière qui attend votre réponse. C'est l'Église tout entière qui vous envoie vers le monde pour le transformer de l'intérieur "à la manière d'un ferment" (L.G. 31). Vous représentez pour l'Église une nouvelle façon d'être dans le monde "sacrement universel de salut": vous êtes des laïcs consacrés, pleinement incorporés dans l'histoire des hommes de par votre profession et votre style de vie commun à tous, radicalement voués au Christ, par les conseils évangéliques, comme témoins du Royaume.

6. Votre existence et votre mission de laïcs consacrés n'ont de sens qu'à partir du sein même d'une Église qui se présente à nous comme une présence chaque jour renouvelée du Christ pascal, comme un signe et un instrument de communion (cf. L.G. 1), sacrement universel de salut. L'Église, en définitive, "c'est le Christ parmi vous! l'espérance de la gloire!" (Col 1, 27). Être signe et communication du Christ pour le salut intégral de tous les hommes: voilà le sens de votre mission dans l'Église. C'est pourquoi vivre cette Assemblée comme un événement ecclésial signifie deux choses: vivre joyeusement le profond mystère de la présence du Christ en elle et porter sereinement la responsabilité de répondre aux attentes des hommes d'aujourd'hui. Et pour cela il faut être ouverts à la Parole de Dieu, et en même temps, attentifs aux exigences de l'histoire. Nous avons besoin de vivre dans la fidélité et dans la joie le moment présent de l'Église: dans son actualité d'aujourd'hui et dans sa physionomie spécifique d'Église particulière, indissolublement unie à l'Église universelle.

7. Mais cette Assemblée est aussi, et en raison même de sa nature d'événement d'Église, un événement familial: la rencontre de la famille des Instituts séculiers, avec leurs différents charismes, mais avec la même identité de sécularité consacrée. II s'agit d'une rencontre profonde et fraternelle dans le Christ de tous ceux que le Seigneur a choisis de façon spéciale pour réaliser leur consécration totale à Dieu, par le moyen des conseils évangéliques, dans le monde, à partir du monde, pour la transformation du monde, en ordonnant les réalités temporelles selon le plan de Dieu.

8. Et puisque c'est une rencontre de famille, réunie par le Saint-Esprit de tous les coins du monde, elle doit se dérouler dans un climat de simplicité extraordinaire, de prière profonde et de sincère fraternité évangélique.

9. Climat de simplicité et de pauvreté: tous ouverts à la Parole de Dieu, puisque nous en avons un si grand besoin, et ouverts de même à la richesse féconde et variée des frères; tous disposés à partager avec humilité et générosité les différents dons et charismes dont l'Esprit nous a enrichis pour l'édification commune (cf. 1 Co 12,4-7). Celui qui se sent sûr de lui-même et croit posséder de façon exclusive la vérité complète est incapable de s'ouvrir avec docilité à la Parole de Dieu; et par conséquent, il est aussi incapable d'un dialogue d'Église constructif. La Parole de Dieu - voyez la Sainte Vierge Marie! - exige beaucoup de pauvreté, de silence, de disponibilité.

10. Ensuite, il vous faut un climat de prière - et il est même essentiel pour votre rencontre. Ce n'est pas pour faire des réflexions techniques sur la prière que vous vous êtes réunis, mais pour vous demander ensemble, à la lumière de la Parole de Dieu et partant de votre existence quotidienne, ce que doit être la prière d'un laïc consacré aujourd'hui. Il ne s'agit pas, pour vous, de discuter les différentes formes de prière, mais de voir comment en pratique tout en vivant à fond votre profession et votre engagement temporel, vous pouvez entrer en une communion immédiate et constante avec Dieu.

11. C'est pourquoi cette Assemblée - qui porte sur la prière comme expression de la consécration séculière, source de la mission et clef de la formation - doit être essentiellement une Assemblée de prière. Autrement dit, le but principal de votre réunion est de prier. Et Jésus est au milieu de nous pour nous assurer l'efficacité infaillible de notre prière, puisque nous nous sommes réunis en son nom (cf. Mt 18,20).

12. Et enfin, il vous faut un climat de fraternité évangélique; c'est d'une rencontre très profonde de frères qu'il s'agit, de frères que l'Esprit a réunis en Jésus; chacun garde son identité spécifique, chacun reste particulièrement fidèle au charisme de son Institut, tout en vivant jusqu'au fond une même expérience évangélique d'Église, et tous nous nous sentons citoyens d'un même Peuple de Dieu (cf. Eph 2,19), membres d'un même Corps du Christ (1 Co 12,27) et pierres vivantes d'un même Temple de l'Esprit ( 1 P 2,5; Eph 2,20-22) l'Église, c'est cela: la réunion de tous dans le Christ, par l'Esprit, pour la gloire du Père et le salut des hommes.

13. Cette fraternité évangélique s'exprime merveilleusement dans la simplicité et la joie quotidienne. C'étaient là les caractéristiques de la communauté chrétienne primitive: "Ils rompaient le pain dans leurs maisons, prenant leur nourriture avec joie et simplicité de coeur" (Ac 2,46). Lorsque l'on complique trop les choses et que les visages deviennent douloureusement tristes, c'est par manque d'une fraternité évangélique authentique et constructive .

14. Voilà donc les trois conditions ou exigences pour cette Assemblée de laïcs consacrés: simplicité de pauvres, profondeur de prière, fraternité sincère dans le Christ.


II

15. Je voudrais maintenant vous signaler - seulement signaler, car je ne voudrais pas trop prolonger cette introduction - trois points qui me semblent essentiels pour ce Congrès qui s'ouvre aujourd'hui: l'Église, la sécularité consacrée, et la prière.

16. Permettez-moi de le faire - puisque l'Assemblée traite de la prière - à la lumière de la prière sacerdotale ou apostolique de Jésus: écoutons ensemble quelques versets de la merveilleuse prière du Seigneur: "Père, l'heure est venue: glorifie ton Fils, pour que ton Fils te glorifie... pour qu'ils soient parfaitement un, et que le monde sache que tu m'as envoyé... Comme tu m'as envoyé dans le monde, moi aussi je les ai envoyés dans le monde... Je ne te prie pas de les retirer du monde, mais de les garder du Mauvais. Ils ne sont pas du monde, comme moi je ne suis pas du monde. Consacre-les dans la vérité: ta parole est vérité.... Pour eux je me consacre moi-même, afin qu'ils soient eux aussi consacrés dans la vérité" (Jn 17).

17. À partir de cette prière de Jésus, qui éclaire toujours votre activité fondamentale d'hommes qui vivent dans le monde et qui prient, je voudrais souligner les trois points que je viens d'indiquer: sens ecclésial, exigences de la sécularité consacrée, mode de prière.

18. 1° - Sens ecclésial. Notre prière se réalise de l'intérieur de l'Église, conçue comme communion fraternelle des hommes avec le Père, le Fils et l'Esprit Saint. "Moi en eux et toi en moi, pour qu'ils soient parfaitement un": c'est cela l'Église. Aussi notre prière - même si nous prions seuls ou en petits groupes - a toujours une dimension ecclésiale. C'est l'Église tout entière qui prie en nous. En définitive, c'est le Christ lui-même - mystérieusement présent dans l'Église (cf. S.C. 7) - qui, en nous et avec nous, prie le Père. Par le truchement de son Esprit, qui habite en nous (Rm 8, 9 et 11), il crie "en des gémissements ineffables" (Rm 8, 26): "Abba", ce qui signifie: "Père" (Rm 8,15).

l9. Ce sens ecclésial attribue à notre prière une dimension profondément humaine et cosmique, c'est-à-dire orientée vers les hommes et vers l'histoire. C'est une prière qui éclaire et assume la douleur et la joie pour les offrir, de l'intérieur de l'histoire, au Père. C'est une prière qui tend à transformer le monde "car notre salut est objet d'espérance" (Rm 8,24) et à accélérer l'avènement définitif du Royaume (cf. 1 Co 15,24-28). Nous le demandons chaque jour dans le Pater: "que ton Règne vienne".

20. Sens ecclésial! Il est essentiel pour nous en tant que chrétiens. Et il est essentiel pour nous en tant que consacrés. I1 est essentiel pour notre prière. Quand on se sent pleinement Église - c'est-à-dire, présence salvatrice du Christ pascal dans le monde - on ressent aussi l'urgence de prier, ainsi que Jésus l'a fait et à partir du Coeur filial et rédempteur du Christ, adorateur du Père et serviteur des hommes.

21. Cette Assemblée devra refléter constamment ce sens ecclésial. Sous une forme tangible on devra sentir ici l'Église: comme présence du Christ pascal, comme sacrement d'unité, comme signe et moyen universel de salut. Vivre l'Église, exprimer l'Église, communiquer l'Église, pour prier avec le Christ de l'intérieur de l'Église.

22. Et cependant, il faut pour cela le don de l'Esprit Saint, qui est dans l'Église "le principe d'unité dans la communion" (L.G. 13). L'Esprit Saint est au commencement de notre prière: il crie en nous avec "des gémissements ineffables" (Rm 8,26), et "nul ne peut dire: 'Jésus est Seigneur', que sous l'action de l'Esprit Saint" (1 Co 12,3). Mais il est aussi le fruit de notre prière, le contenu central de ce que nous demandons par elle: "Combien plus le Père du ciel donnera-t-il l'Esprit Saint à ceux qui l'en prient!" (Lc 11,13).

23. C'est l'Esprit Saint qui fait l'unité dans l'Église. C'est pour cela que l'unité ecclésiale, la véritable communion de tous dans le Christ, est le fruit de notre prière faite avec authenticité dans l'Esprit. Et cette unité est urgente, aujourd'hui, dans notre Église si douloureusement secouée et tendue, de même qu'elle est urgente dans le coeur de l'histoire de l'humanité qui marche vers la rencontre définitive, à travers une série de contrastes, d'incompréhensions profondes, d'insensibilité et de haine.

24. Cette Église communion - "peuple rassemblé dans l'unité du Père, du Eils et de l'Esprit Saint" (S. Cyprien; L.G. 4) est envoyée au monde pour être "sacrement universel de salut" (A.G. 1). C'est une Église essentiellement missionnaire et évangélisatrice insérée dans le monde comme lumière, sel et ferment de Dieu, pour le salut de tous les hommes. "L'Église - dit le Concile - fait route avec toute l'humanité et partage le sort terrestre du monde; elle est comme le ferment et, pour ainsi dire, l'âme de la société humaine appelée à être renouvelée dans le Christ et transformée en famille de Dieu" (G.S. 40).

25. Cette exigence de l'Église - essentiellement Église du témoignage et de la prophétie, de l'incarnation et de la présence, de la mission et du service - suppose, dans tous ses membres, une profondeur contemplative que rien ne saurait remplacer. Face aux urgences de l'Église d'aujourd'hui, face aux attentes des hommes d'aujourd'hui, une seule attitude s'impose, simple et essentielle: "Seigneur, apprends-nous à prier" (Lc 11,1).

C'est précisément pour cela que nous nous sommes réunis ces jours-ci.

26. 2° - Sécularité consacrée. Dans ce rapport fondamental Église-Monde, dans cette insertion missionnaire de l'Église dans l'histoire de l'humanité se situe précisément, mes chers amis, votre vocation spécifique. Car toute l'Église est missionnaire, mais non de la même façon; toute l'Église est prophétique, mais pas au même niveau, toute l'Église s'incarne dans le monde, mais pas de la même manière. Et votre mode à vous c'est un mode original et unique qu'on ne saurait remplacer, vécu avec générosité et avec joie comme un don particulier de l'Esprit.

27. I1 s'agit, en effet, de votre sécularité consacrée. Vous êtes pleinement consacrés, radicalement engagés à "suivre le Christ" par le moyen des conseils évangéliques; mais en même temps vous restez pleinement laïcs, vivant dans le Christ votre profession, votre engagement temporel, vos "obligations du monde, dans les conditions ordinaires de l'existence" (A.A. 4).

28. La consécration à Dieu ne vous enlève pas du monde, elle vous y insère d'une façon nouvelle. Intérieurement vous donnez sa plénitude à votre consécration baptismale, mais vous continuez à vivre dans le monde, dans toutes les activités, dans chaque profession, ainsi que dans les conditions ordinaires de la vie familiale et sociale. Il vous appartient pleinement, de par votre vocation même, de chercher le Royaume de Dieu en administrant les choses temporelles et en les ordonnant selon Dieu (L.G. 31). En vous, la prière de Jésus reçoit une signification spéciale: "Je ne te prie pas de les retirer du monde, mais de les garder du Mauvais ... Pour eux je me consacre (= je m'immole et me sacrifie), afin qu'ils soient eux aussi consacrés dans la vérité" (Jn 17).

29. C'est un mode nouveau de présence de l'Église dans le monde. Nul dans l'Église (même pas le contemplatif) ne cesse d'être présent dans le monde, nul ne se situe en dehors de l'histoire. Et nul, s'il a reçu "l'onction venant du Saint" dans le Baptême (1 Jn 2,20), ne manque d'être radicalement voué à l'Évangile comme témoin dans le monde de la Pâque de Jésus. Mais votre consécration spéciale à Dieu, par les conseils évangéliques, vous engage à être dans le monde les témoins du Royaume et vous incorpore au mystère pascal de Jésus - sa mort et sa résurrection - d'une façon plus profonde et plus radicale, sans vous enlever pour cela aux responsabilités normales de votre activité familiale, sociale et politique, qui constituent le cadre spécifique de votre vocation et de votre mission.

30. Ce sont là, chers amis, les deux aspects de votre riche, merveilleuse, providentielle vocation dans l'Église: la sécularité et la consécration. Il vous faut les vivre avec une égale intensité et plénitude, inséparablement unis, comme deux éléments essentiels d'une seule réalité: la sécularité consacrée. La seule façon, pour vous, de vivre votre consécration est de vous donner radicalement à l'Évangile, et cela de l'intérieur du monde, à partir du monde, en restant indissolublement fidèles à vos tâches temporelles et aux exigences intérieures de l'Esprit comme témoins privilégiés du Royaume (cf. G.S. 43). Et la seule façon de réaliser en plénitude, au moment présent, votre vocation séculière - puisque le Seigneur est entré mystérieusement dans votre vie et vous a appelés d'une façon spéciale à Le suivre radicalement - c'est de vivre avec une joie chaque jour renouvelée votre fidélité à Dieu dans la fécondité de la contemplation, dans la sérénité de la croix, dans la pratique généreuse des conseils évangéliques.

31. Il faut transformer le monde, le sanctifier du dedans, vivant à fond l'esprit des béatitudes évangéliques et préparant ainsi "les nouveaux cieux et la nouvelle terre, où la justice habitera" (2 P 3,13).

32. La sécularité consacrée exprime et réalise, d'une façon privilégiée, l'union harmonieuse entre l'édification du Royaume de Dieu et la construction de la cité temporelle, entre l'annonce explicite de Jésus dans l'évangélisation et les exigences chrétiennes de la promotion humaine intégrale.

33. Vivez la joie de cette consécration séculière, qui dans le monde d'aujourd'hui est plus actuelle que jamais. On a besoin de témoins courageux du Royaume. Soyez fidèles aux exigences de l'Évangile et préparez de l'intérieur un monde nouveau. Vivez avec responsabilité et avec force le risque de votre sécularité engagée dans une consécration spéciale au Christ à travers l'Esprit. Soyez fidèles à l'heure qui est la vôtre, à votre profession, à votre engagement temporel, aux attentes des hommes de Dieu, à la faim de Jésus et de son Royaume.

34. Vivez pleinement votre consécration à partir de la sécularité pleinement réalisée - avec le coeur ouvert au Royaume, à l'Évangile, à Jésus - et engagez-vous à transformer le monde à partir de la joie de votre consécration et avec l'esprit des béatitudes généreusement assumées et exprimées. Soyez fortement contemplatifs pour percevoir le passage du Seigneur dans les circonstances actuelles de l'histoire, pour collaborer au plan de salut de Dieu qui a voulu “ramener toutes choses sous un seul Chef, le Christ, les êtres célestes comme les terrestres (Eph 1,10).

35. 3° - Mode de prière. Cela nous introduit au dernier point de notre simple réflexion: la prière. Cette Assemblée qui vous réunit est consacrée non seulement à réfléchir sur la prière, mais surtout à la célébrer. Dans le coeur inquiet de chacun de nous il y a un désir ardent et simple: "Seigneur, apprend-nous à prier" (Lc 11,1). C'est le cri d'espérance des pauvres qui cherchent en Jésus le Maître de la prière. C'est en Lui que nous aussi nous apprenons à prier, comme des hommes concrets d'un temps nouveau: "Seigneur, en ce moment tourmenté de l'histoire, dans cette période difficile de l'Église, moi qui vis dans le monde, consacré radicalement à l'Évangile, pour transformer le monde selon ton dessein, Seigneur, moi qui souffre et espère avec la souffrance et l'espérance des hommes d'aujourd'hui, comment dois je prier? Comment dois je prier pour ne pas perdre la profondeur contemplative, ni la capacité permanente de servir mes frères? Comment dois-je prier sans éluder les problèmes des hommes, ni abandonner les exigences de ma vie quotidienne, mais sans perdre de vue non plus que Tu es le Dieu unique, qu'une seule chose est nécessaire (Lc 10,42) et qu'il est urgent de chercher avant tout le Royaume de Dieu et sa justice (Mt 6,33)? Comment dois-je prier dans le monde et à partir du monde? Comment puis-je trouver un instant de silence et un coin de désert - pour T'écouter exclusivement et me livrer avec joie à ta Parole - au milieu d'une ville étourdie par les paroles des hommes et si pleine d'activités et de problèmes qui me pressent? Seigneur, apprends-nous à prier".

36. Tel est, mes chers amis, votre désir; tels sont votre souci douloureux et votre calme espérance. Dans cette Assemblée - célébration communautaire de la prière - le Seigneur vous apprendra à prier; surtout, il vous dira que ce n'est pas difficile, et encore moins, impossible; car Dieu nous ordonne de prier sans cesse, sans jamais nous lasser (Lc 18,1). Et Il n'ordonne pas de choses impossibles (St. Augustin, De Natura et Gratia, 43,50).

37. Je ne veux pas entrer dans les détails du thème de votre Assemblée. Permettez-moi seulement de vous indiquer, en tant que frère et ami, trois pistes pour vos travaux.

38. Tout d'abord, la personne même du Christ. Il vous faut chercher dans l'Évangile la figure du Christ priant: dans le désert, sur la montagne, au Cénacle, dans l'agonie du jardin des oliviers, sur la croix. Quand, comment et pourquoi le Christ a-t-il prié? Je voudrais seulement vous rappeler que la prière de Jésus - si profondément filiale et rédemptrice - était toujours mêlée d'une forte expérience du Père dans la solitude, d'une conscience très claire que tous le cherchaient et d'une infatigable activité missionnaire comme prophète de la Bonne Nouvelle du Royaume pour les humbles et comme médecin spirituel pour la guérison intégrale des malades. Saint Luc le résume ainsi, dans un texte qui mériterait d'être analysé avec soin. "Sa réputation se répandait de plus en plus, et des foules nombreuses accouraient pour l'entendre et se faire guérir de leurs maladies. Mais lui se retirait dans la solitude et priait" (Lc 5,15-16).

39. En deuxième lieu, je voudrais vous rappeler que le principe de votre prière est toujours l'Esprit Saint, mais que le mode spécifique - et l'unique pour vous - est de prier à partir de votre sécularité consacrée: ce qui vous oblige à chercher, tout particulièrement, l'unité entre la contemplation et l'action, et à éviter "le divorce entre la foi et le comportement quotidien", ce qui doit être "compté parmi les plus graves erreurs de notre temps" (G.S. 43).

40. Non seulement votre prière doit précéder et rendre fécond votre travail, mais elle doit le pénétrer intégralement et lui donner un sens particulier d'offrande et de rédemption. Non seulement votre profession ne saurait empêcher ou suspendre votre prière, mais elle doit même vous servir de source d'inspiration, de vie et de réalisme contemplatif. Cela n'est certes pas facile; vous chercherez les voies; je vous en indique simplement deux: soyez véritablement pauvres et demandez-le instamment à l'Esprit Saint et à Notre Dame du Silence et de la Contemplation.

41. Enfin, je voudrais indiquer trois conditions évangéliques nécessaires pour tout genre de prière: la pauvreté, l'authenticité du silence et la véritable charité.

42. La pauvreté: avoir conscience de nos limites, de notre incapacité à prier comme il faut (Rm 8,26), de la nécessité du dialogue avec les autres, surtout de notre faim profonde de Dieu Aux pauvres seuls seront révélés les secrets du Royaume de Dieu (cf. Lc 10,21). Les pauvres ont une façon de prier simple et sereine, infailliblement efficace: "Seigneur, si tu le veux, tu peux me guérir", "Je le veux, sois guéri!" (Mt 8,2-3).

43. Le silence: ce n'est pas facile dans le monde, mais ce n'est pas plus facile dans un couvent. Tout dépend d'un esprit intérieurement pacifié et concentré en Dieu. Ce qui s'oppose au véritable silence, ce n'est pas le bruit extérieur, l'activité ou la parole; ce qui s'oppose, c'est le moi constitué comme centre. Aussi la première condition pour bien prier, c'est de s'oublier. Parfois un laïc engagé prie mieux qu'un moine exclusivement concentré sur son problème. C'est pour cela que nous parlons de "l'authenticité du silence". C'est, en partie du moins, le sens des mots de Jésus: "Pour toi, quand tu pries, retire-toi dans ta chambre, ferme sur toi la porte, et prie ton Père qui est là, dans le secret; et ton Père, qui voit dans le secret, te le rendra" (Mt 6,6). L'essentiel, ce n'est pas d'entrer dans la chambre; ce qui est vraiment important, c'est que le Père est là et nous attend.

44. La véritable charité: il me semble que c'est le secret d'une prière féconde. Il faut entrer dans la prière avec un coeur de "frère universel". Nul ne peut ouvrir son coeur à Dieu sans une ouverture fondamentale aux frères. La conséquence ou le fruit d'une prière véritable sera une ouverture plus profonde et plus joyeuse aux autres. On ne peut pas expérimenter la présence de Jésus dans les hommes sans une forte et profonde expérience de Dieu dans la solitude féconde du désert. Mais cette rencontre avec le Seigneur, dans l'intimité privilégiée de la contemplation, doit nous conduire à la découverte continue de sa présence chez les nécessiteux (cf. Mt 25).

45. Ce que je veux dire c'est que pour bien prier il faut vivre dans la charité, mais si l'on prie bien - entrant sincèrement en communion avec le Père par le Fils et dans l'Esprit Saint - on sort de la prière avec une capacité infatigable de donner et de servir les frères. La charité authentique - immolation à Dieu et dévouement aux frères - est ainsi au commencement, au milieu et au terme d'une prière véritable.

46. La prière du laïc consacré - pour qu'elle soit vraiment expression de son joyeux dévouement à Jésus-Christ, source féconde de sa mission et clef essentielle de sa formation - doit être faite "au nom de Jésus" (cf. Jn 16, 23-27), c'est-à-dire, sous l'action infailliblement efficace de l'Esprit Saint. C'est l'Esprit de Vérité qui nous conduit vers la vérité tout entière (Jn 16,13) et nous aide à rendre simultanément témoignage du Christ (cf. Jn 15,26-27) dans la réalité concrète et quotidienne de notre vie. D'une part, il nous aide à entrer dans le Christ plus profondément et à goûter sa parole; de l'autre, il nous dévoile son passage dans l'histoire et il nous fait écouter avec responsabilité les appels et les attentes des hommes.

47. En d'autres termes: l'Esprit de Vérité demeure auprès de nous (cf. Jn 14,17), et il nous fait comprendre intérieurement, dans l'unité profonde de la vie consacrée dans le monde, que "Dieu a tant aimé le monde qu'il a donné son Fils unique ... Car Dieu n'a pas envoyé son Fils dans le monde pour condamner le monde, mais pour que le monde soit sauvé par lui" (Jn 3,16-17).

48. La consécration séculière est un témoignage de cet amour intime et universel du Père. La vie d'un laïc consacré se transforme ainsi, par l'action sans cesse recréative de la prière, en une simple manifestation de l'infatigable bonté du Père. Car l'Esprit Saint en fait une nouvelle présence du Christ: "Vous êtes une lettre du Christ, ...écrite non avec de l'encre, mais avec l'Esprit du Dieu vivant, non sur des tables de pierre, mais sur des tables de chair, sur vos cœurs" (2 Cor 3,3).

49. Que la Sainte Vierge Marie, modèle et maîtresse de prière, vous accompagne et vous éclaire tout au long de ces journées; qu'elle vous introduise dans son coeur contemplatif (cf. Lc 2,19) et vous apprenne à être pauvres. Qu'elle vous prépare à l'action profonde de l'Esprit et vous rende fidèles à la Parole. Qu'elle vous répète au plus profond de vous-mêmes ces deux simples phrases de l'Évangile, l'une venant d'Elle, l'autre de son Fils: "Tout ce qu'il vous dira, faites-le" (Jn 2,5); "Heureux plutôt ceux qui écoutent la Parole de Dieu et la gardent!" (Lc 11,28).

Rome, le 23 août 1976.

Une présence vivante au service du monde et de l'Église

 

Chers Fils et chères Filles dans le Seigneur,

1. C'est bien volontiers que nous avons accueilli la demande du Conseil exécutif de la Conférence Mondiale des Instituts Séculiers, lorsque, en temps voulu, il nous fit part du désir de cette rencontre. Elle nous offre, en effet, l'occasion de vous exprimer, avec notre estime, les espoirs de l'Église dans le témoignage particulier que les Instituts séculiers sont appelés à rendre parmi les hommes d'aujourd'hui.

2. Il n'est pas nécessaire de nous arrêter pour mettre en lumière les caractéristiques particulières qui définissent votre vocation, puisque, dans leurs traits fondamentaux qui sont "une vie totalement consacrée, en suivant les conseils évangéliques, et une présence et une action destinées, en toute responsabilité, à transformer le monde du dedans", ces caractéristiques peuvent être maintenant considérées comme une acquisition certaine de votre conscience institutionnelle. Tout cela, nous l'avons rappelé à l'occasion du vingt-cinquième anniversaire de la Constitution apostolique Provida Mater (Discours du 2 février 1972).

3. A la place qui est nôtre, notre désir est de souligner plutôt le devoir fondamental qui découle de la physionomie évoquée tout à l'heure, c'est-à-dire le devoir d'être fidèle. Cette fidélité, qui n'est pas immobilisme, signifie avant tout attention à l'Esprit Saint qui fait l'univers nouveau (cf. Ap 21,5). Les Instituts séculiers, en effet, sont vivants dans la mesure où ils participent à l'histoire de l'homme, et témoignent auprès des hommes d'aujourd'hui, de l'amour paternel de Dieu, révélé par Jésus-Christ dans le Saint-Esprit (cf. Exhortation apostolique Evangelii Nuntiandi, 26).

4. S'ils demeurent fidèles à leur vocation propre, les Instituts séculiers deviendront comme "le laboratoire d'expériences" dans lequel l'Église vérifie les modalités concrètes de ses rapports avec le monde. C'est pourquoi ils doivent écouter, comme leur étant adressé surtout à eux, l'appel de l'Exhortation apostolique Evangelii Nuntiandi: "Leur tâche première ... est la mise en œuvre de toutes les possibilités chrétiennes et évangéliques cachées, mais déjà présentes et actives dans les choses du monde. Le champ propre de leur activité évangélisatrice, c'est le monde vaste et compliqué de la politique, du social, de l'économie, mais également de la culture, des sciences et des arts, de la vie internationale, des mass media" (no. 70).

5. Cela ne signifie pas, évidemment, que les Instituts séculiers, en tant que tels, doivent se charger de ces tâches. Cela revient normalement à chacun de leurs membres. C'est donc le devoir des Instituts eux-mêmes de former la conscience de leurs membres à une maturité et à une ouverture qui les poussent à se préparer avec beaucoup de zèle à la profession choisie, afin d'affronter ensuite avec compétence, et en esprit de détachement évangélique, les poids et la joie des responsabilités sociales vers lesquelles la Providence les orientera.

6. Cette fidélité des Instituts séculiers à leur vocation spécifique doit s'exprimer avant tout dans la fidélité à la prière, qui est le fondement de la solidité et de la fécondité. I1 est donc très heureux que vous ayez choisi comme thème central de votre Assemblée la prière en tant "qu'expression d'une consécration séculière" et "source de l'apostolat et clé de la formation". C'est-à-dire que vous êtes en recherche d'une prière qui soit expressive de votre situation concrète de personnes "consacrées dans le monde".

7. Nous vous exhortons donc à poursuivre cette recherche, en vous efforçant de faire en sorte que votre expérience spirituelle puisse servir d'exemple à tout laïc En effet, pour celui qui se consacre dans un Institut séculier, la vie spirituelle consiste à savoir assumer la profession, les relations sociales, le milieu de vie, etc. comme formes particulières de collaboration à l'avènement du Royaume des cieux, et à savoir s'imposer des temps d'arrêt pour entrer en contact plus direct avec Dieu, pour Lui rendre grâce et pour Lui demander pardon, lumière, énergies et charité inépuisable pour les autres.

8. Chacun de vous bénéficie assurément du soutien de son Institut, par les orientations spirituelles qu'il donne, mais surtout par la communion entre ceux qui partagent le même idéal sous la conduite de leurs responsables. Et, sachant que Dieu nous a donné sa Parole, celui qui s'est consacré se mettra très régulièrement à l'écoute de la Sainte Écriture, étudiée avec amour et accueillie avec une âme purifiée et disponible, pour chercher en elle, ainsi que dans l'enseignement du Magistère de l'Église, une interprétation exacte de son expérience quotidienne vécue dans le monde. De façon spéciale, en s'appuyant sur le fait même de sa consécration à Dieu, il se sentira engagé à favoriser les efforts du Concile pour une participation toujours plus intime à la sainte liturgie, conscient que la vie liturgique bien ordonnée, bien intégrée dans les consciences et les habitudes des fidèles, contribuera à maintenir vigilant et permanent le sens religieux, à notre époque, et à procurer à l'Église un nouveau printemps de vie spirituelle.

9. La prière deviendra alors l'expression d'une réalité mystérieuse et sublime, partagée par tous les chrétiens, c'est-à-dire l'expression de notre réalité de fils de Dieu. Elle sera une expression que le Saint-Esprit purifie et assume comme sa propre prière, en nous poussant à crier avec Lui: Abba, c'est-à-dire Père! (cf. Rm 8, 14ss; Ga 4,4ss).

10. Une telle prière, si elle parvient à être consciente dans le contexte même des activités séculières, est alors une véritable expression de la consécration séculière.

11. Telles sont les pensées chers fils et chères filles, que nous voulons confier à votre réflexion, afin de vous aider dans votre recherche d'une réponse toujours plus fidèle à la volonté de Dieu, qui vous appelle à être dans le monde, non pour en assumer l'esprit, mais pour porter au milieu de lui un témoignage susceptible d'aider vos frères à accueillir la nouveauté de l'Esprit dans le Christ. Avec notre Bénédiction Apostolique.

Rome, 25 août 1976

Congrégation pour les Religieux et les Instituts Séculiers (CRIS)
Les personnes mariées et les instituts séculiers

 

1. La vocation propre des Instituts Séculiers, vocation de présence aux valeurs des réalités terrestres, a conduit plusieurs d'entre eux à porter leur attention sur la famille et la "valeur sacrée de l'état matrimonial" (G.S. 49).

2. Cette attention peut se traduire par des réalisations diverses. S'agit-il, par exemple, d'œuvrer directement pour la cause de la famille chrétienne, des Instituts prennent naissance avec cette finalité spécifique. Veut-on permettre à des personnes mariées de participer à la spiritualité et à la vie d'un Institut, et en voilà de fait qui leur offrent cette possibilité: certains Instituts séculiers donnent à de telles personnes, directives et soutien pour vivre un engagement évangélique dans l'état matrimonial, et ils les considèrent comme leurs membres au sens large.

3. Les documents fondamentaux relatifs aux Instituts séculiers - en particulier l'Instruction Cum Sanctissimus (art. VII, a) - prévoient en effet l'admission de ces membres; mais le principe général comporte des applications différentes, et les problèmes surgissent.

4. Pour avoir une vision complète de la réalité telle qu'elle se présente, la Section pour les Instituts séculiers a effectué une enquête en 1973, auprès des Instituts dont les Constitutions déterminent l'existence de membres au sens large. Le résultat de l'enquête a mis en relief une variété de questions relativement à ces membres: engagements, participation à la vie de l'Institut selon des modes et à des degrés divers, etc. Un Institut a même voulu envisager la possibilité d'accueillir les personnes mariées comme membres au sens plein.

5. La Section pour les Instituts séculiers n'a pas jugé nécessaire de revenir officiellement sur une disposition déjà claire, définie et connue, comme celle de la chasteté dans le célibat pour les membres, au sens strict, des Instituts séculiers. Toutefois - surtout pour apprécier s'il convient de donner des directives au sujet des membres au sens large - elle a décidé d'intéresser à ce problème ses neuf consulteurs. Par un bref questionnaire, elle a présenté à leur réflexion: d'une part, la présence de personnes mariées comme membres au sens large; d'autre part, l'éventualité d'une intégration complète de ces personnes dans les Instituts séculiers.

6. L'ensemble des réponses a démontré la nécessité de soumettre la question au Congresso, en vue d'éventuelles décisions. Comme on le sait, le Congresso est l'organe collégial de la Congrégation, et il est formé du Cardinal Préfet, du Secrétaire, du Sous-Secrétaire et des Officiers de la Section. I1 bénéficie en outre, de la contribution d'experts, spécialement pressentis pour le thème étudié. I1 possède les fonctions d'étude, d'examen et de décision (cf. Informationes Année I, no. 1, page 52).

7 . Pour ledit Congresso, la Section a demandé à deux experts (théologiens et canonistes) d'examiner la question qui nous occupe, et d'exprimer leur avis motivé en tenant compte des réponses des consulteurs.

8. Nous présentons donc, en première partie, une synthèse des réponses des consulteurs, et dans une seconde partie, les conclusions et décisions du Congresso.

I.—LA CONSULTATION

9. La synthèse des réponses à cette consultation met en relief les trois assertions suivantes:

- La chasteté dans le célibat doit être absolument affirmée pour les membres des I.S.
- Les personnes mariées peuvent être membres au sens large de tels Instituts moyennant certaines mesures de prudence.
- La naissance d'Association de personnes mariées serait souhaitable ...

A - LA CHASTETÉ DANS LE CÉLIBAT POUR LES MEMBRES D'I.S.

10. L'affirmation s'appuie sur:

a) des motifs doctrinaux et canoniques.

La charte des I.S. est suffisamment claire en la matière: "Les associés qui désirent appartenir à l'Institut comme membres au sens strict, doivent, outre les exercices de piété et de renoncement auxquels tous les fidèles qui aspirent à la perfection de la vie chrétienne s'adonnent nécessairement, tendre efficacement à cette perfection également par les moyens particuliers suivants:


11. 1° par la profession faite devant Dieu du célibat et de la chasteté parfaite, profession qui sera, conformément aux Constitutions, sanctionnée par un vœu, un serment, une consécration obligeant en conscience ..."
(P.M. art. III).

12. Or, les développements ultérieurs de la doctrine n'ont fait que confirmer cette condition essentielle, à savoir la profession faite devant Dieu du célibat et de la chasteté parfaite. Pour s'en convaincre, il suffit de s'en référer aux textes conciliaires et postconciliaires, notamment: L.G. 42-44, P.C. 11, Discours de Paul VI. C'est ce qu'exprime l'un des consulteurs en ces termes:

13. "Même si de 1947 à nos jours, d'importants développements se sont vérifiés dans la doctrine catholique du laïcat, en se référant particulièrement au mariage, la distinction évangélique entre la vie d'une personne mariée et celle d'un "célibataire pour le Royaume" n'a subi (ni elle ne le pouvait) aucune variation sensible. Bien plus, la vaste crise qui s'est manifestée à propos du célibat sacerdotal, a permis de voir plus clair et plus profond en cette valeur de "première place" parmi les conseils, qui "a toujours été l'objet de la part de l'Église d'un honneur spécial" (L. G. 42)".

b) un choix précis pour répondre à un appel du Seigneur:

14. Par une libre réponse au choix du Seigneur, "l'appelé" choisit de renoncer à certains biens, même légitimes, en vue du Royaume. Le renoncement au bien légitime qu'est le mariage s'impose aux membres d'I.S. qui choisissent une vie de consécration totale à Dieu.

C'est ce qui se dégage aussi des réponses données par les consulteurs:15. "... Se décider à vivre selon les conseils évangéliques signifie s'orienter vers des valeurs déterminées et se limiter, simultanément, en renonçant à d'autres valeurs ...".

16. "... Le sens particulier du choix du célibat fait par les membres d'I.S. (n'est pas) dans le respect de normes canoniques ou de motifs extrinsèques, mais exclusivement dans la réponse gratuite et spontanée à un appel particulier du Seigneur".

17. De son côté, Paul VI déclarait en 1972 aux Responsables généraux des I.S.: "La pauvreté, la chasteté et l'obéissance que vous avez choisies sont un moyen de participation à la Croix du Christ, parce que vous vous unissez à lui en vous privant de biens qui sont par ailleurs licites et légitimes" (Paul VI, 20.9.1972).

18. Ce renoncement à des biens légitimes, le Seigneur ne le demande pas à tous; il ne le demande pas normalement à ceux qui vivent dans l'état du mariage, lesquels doivent - en recevant et en donnant - participer aux joies humaines d'un foyer chrétien. Ce renoncement total est le propre de ceux que Dieu appelle spécialement à lui témoigner une préférence absolue, et qui répondent en se consacrant à Lui totalement.

c) la nécessité d'éviter des confusions.

19. Ces choix différents font que les personnes mariées et celles consacrées spécialement à Dieu, doivent parvenir à la perfection de la vie chrétienne - à la sainteté à laquelle nous sommes tous appelés - par des modes adaptés à leurs situations particulières: les uns se rattachent au sacrement du mariage, en ce sens qu'ils doivent permettre aux conjoints d'atteindre la plus haute sainteté dans l'état matrimonial; les autres se relient à la substance d'une "consécration spéciale" au Seigneur. Le sacrement du mariage offre aux époux chrétiens les moyens de se sanctifier et de rendre gloire à Dieu dans leur condition propre d'époux, dans leur mission sublime de père et de mère (cf. G.S. 48); et rien n'empêche ceux qui le veulent, de recourir à des engagements évangéliques selon leur état, si cela les aide à accomplir parfaitement leurs obligations et leur mission. Quant aux fidèles qui choisissent de suivre le Christ d'une façon plus intime, ils trouvent de même dans leur consécration par la profession des conseils évangéliques, secours et grâce pour réaliser leur don total au Seigneur. Cette distinction apparaît nettement dans les textes conciliaires, et elle est soulignée également dans les réponses des consulteurs:

"Il s'agit de réalités absolument distinctes, bien que dans la ligne d'une sainteté unique, et il serait dangereux de les confondre. Ce serait dangereux pour les Instituts séculiers qui finiraient par perdre le vrai sens de leur charisme; mais ce serait dangereux aussi pour les personnes mariées entraînées sur un terrain qui finirait par les soumettre à des règles non conformes à leur état de vie".

20. Paul V1, dans son message du 20.4.1975 pour la journée mondiale des vocations, met bien en relief le témoignage spécifique donné par les âmes consacrées à Dieu. I1 souligne d'abord, en cette période marquée par le manque de vocations, le rôle irremplaçable joué par des laïcs à la foi et au témoignage admirables, tandis qu'ils assument des responsabilités, exercent des ministères ... Lui-même s'en réjouit, encourage cette promotion du laïcat. Mais il ajoute ensuite:

21. "Mais tout cela - est-il besoin de le dire - ne supplée pas le ministère indispensable du prêtre, ni le témoignage spécifique des âmes consacrées. I1 les appelle. Sans eux, la vitalité chrétienne risque de se couper de ses sources, la Communauté de s'effriter, l'Église de se séculariser".

22. Sans minimiser le témoignage donné par des laïcs authentiquement chrétiens, le Saint-Père reconnaît que l'Église attend des âmes consacrées un témoignage spécifique, essentiel pour la vitalité même de toute la Communauté ecclésiale. I1 convient donc d'éviter toute confusion entre l'état de personnes mariées qui s'engagent à la pratique de la chasteté conjugale et celui de personnes qui ont choisi la chasteté dans le célibat pour répondre à un appel spécial du Seigneur. S'il est vrai que les unes et les autres doivent tendre à la perfection de la charité chrétienne et témoigner de l'Amour du Christ, il reste qu'elles le font nécessairement selon deux voies distinctes, selon deux états de vie tellement différents qu'on ne peut embrasser à la fois l'un et l'autre.

23.Il s'ensuit que les personnes mariées ne peuvent faire complètement partie d'Instituts séculiers dont les membres sont essentiellement voués à la chasteté dans le célibat.

B—LES PERSONNES MARIÉES MEMBRES AU SENS LARGE DES I.S.

24. Les membres au sens large d'un Institut séculier ont la possibilité de rester dans leur condition propre - éventuellement celle de personnes mariées - et de s'exercer toutefois à la perfection évangélique en participant aux avantages spirituels d'un Institut, à son apostolat propre, comme à un certain nombre de ses exigences. C'est dans ce sens précis qu'on peut parler d'admission de personnes mariées dans un Institut séculier. Cela suppose le respect de certaines mesures de prudence, en vue de sauvegarder la valeur du mariage. Ces mesures, d'après les réponses des consulteurs, concernent les points suivants:

a) les motifs de la demande d'admission et les conditions d'acceptation.

25. L'un des consulteurs fait allusion aux motifs qui, dans le passé, ont conduit à admettre les personnes mariées comme membres au sens large: d'une part, une certaine primauté accordée aux "célibataires en vue du Royaume", et partant la nécessité pour les conjoints de se mettre à leur école; d'autre part, le besoin confus chez les Instituts séculiers de se créer une première zone de rayonnement, non sans référence à l'éveil de vocations pour les Instituts eux-mêmes.

26. Une seule réponse évoque de manière précise et actuelle les motifs de la demande d'admission et les conditions d'acceptation:

"On devrait examiner avec un soin particulier les motifs des conjoints qui veulent entrer dans un Institut séculier. S'il s'avérait une fuite du mariage ou une conception du mariage le dévalorisant, on devrait repousser la demande ... Si l'Institut ne donnait pas la possibilité de vivre le mariage chrétiennement, voire parfaitement, le but d'une telle appartenance serait manqué".

b) le consentement de l'autre conjoint à l'admission de l'un d'eux.

27. D'après la quasi totalité des réponses sur ce point, l'admission d'une personne mariée comme membre au sens large d'un Institut séculier nécessite le consentement de son conjoint. Ainsi que le remarque l'une d'elles, "l'hypothèse contraire s'oppose à la nature même du mariage compris avant tout comme communauté spirituelle". Un seul consulteur est d'avis de ne pas imposer un tel consentement, mais il suppose une entente préalable entre les deux conjoints:

"Autant je souhaite que les deux conjoints s'informent réciproquement, cherchent ensemble et se mettent d'accord, autant je n'imposerais pas à l'un d'avoir à obtenir le consentement de 1'autre".

28. Cela revient à dire que, normalement, l'admission d'une personne mariée dans un Institut séculier ne doit pas se faire à l'insu de l'autre conjoint.

c) la participation d'un membre marié au gouvernement de l'Institut.

29. A cet égard, les réponses des consulteurs sont un peu plus complexes. I1 en ressort néanmoins que la participation active des membres mariés au gouvernement de l'Institut ne paraît pas opportune. Un seul des consulteurs envisage franchement une telle participation, mais il en laisse entrevoir les risques sérieux:

S'il existe de fait des Instituts séculiers qui admettent des personnes mariées comme membres au sens large: je soutiendrais que leurs représentants participent au gouvernement, mais de manière proportionnelle ... Il est juste en effet, si un Institut admet des personnes mariées, qu'il en assume toutes les conséquences. Il y a des risques: les inévitables implications réciproques de l'Institut dans la vie familiale et de la famille dans la vie de l'Institut. En outre - à un moment historique où il devient particulièrement difficile de vivre la virginité - dans le cas où les personnes mariées seraient en majorité, les célibataires auraient peu de représentants dans le gouvernement, d'où le danger que la virginité ne soit pas suffisamment mise en valeur.

30. D'après l'ensemble des réponses, la participation des membres mariés au gouvernement de l'Institut est ainsi envisagée:

- dans trois réponses, c'est une éventualité à écarter;
- pour d'autres consulteurs, une représentation des membres mariés au gouvernement de l'Institut peut être admise, mais pour délibérer des seules questions qui les concernent;
- d'après l'un d'eux, un gouvernement propre à de tels membres est souhaité.

31. Cette dernière réponse, parlant de groupement à part avec un gouvernement propre, rejoint le troisième aspect de notre question.

C—LA NAISSANCE D'ASSOCIATIONS DE PERSONNES MARIÉES SERAIT SOUHAITABLE…

32. Ce souhait est traduit plus ou moins explicitement dans toutes les réponses des consulteurs. Voici les extraits de deux propositions:

1) J'aimerais poser le problème autrement.
Non pas: des personnes mariées sont intéressées par les Instituts séculiers; quelle place peut-on leur y faire?
Mais: des personnes mariées sont attirées par la perfection évangélique, comment les y aider?

33. La seconde (perspective) permettrait une recherche plus libre et conduirait sans doute à la vraie solution. C'est la question de la possibilité d'un certain radicalisme de la vie évangélique dans le mariage".

34. 2) I1 paraît souhaitable que naissent des Associations pour les conjoints qui entendent s'engager communautairement à la suite du Christ, dans l'esprit des béatitudes et des conseils évangéliques ... On répondrait ainsi au désir de tant de personnes mariées de voir pleinement reconnues par l'Église, et la valeur sanctifiante du mariage, et l'égalité substantielle de tous les membres du Peuple de Dieu face au précepte de tendre à la perfection de la charité ... La définition du contenu concret des engagements d'obéissance et de pauvreté que prendraient les conjoints, ne peut être que le fruit de leurs propres expérimentation et réflexion. Pour que cela se fasse de manière adéquate, il semble absolument indispensable que l'expérimentation et la réflexion se développent entre conjoints, sans confusion avec d'autres formes de vie...".35. De l'ensemble des réponses exprimées, on a pu dégager deux idées:

- Il convient de promouvoir des Associations de personnes mariées. Les motifs allégués se résument ainsi: répondre au besoin ressenti par ces personnes de s'unir pour mieux vivre leur foi; répondre à leur désir de voir pleinement reconnues par l'Église, et la valeur sanctifiante du mariage, et substantiellement la possibilité pour tous les membres du Peuple de Dieu de tendre à la perfection de la charité; offrir à ces mêmes personnes la possibilité effective d'un certain radicalisme de vie évangélique dans le mariage.

- Ces Associations de personnes mariées seraient distinctes des Instituts séculiers

36. En marge de cette seconde affirmation, il est suggéré par un seul consulteur, que la période d'expérimentation pourrait être confiée aux soins de la Section pour les Instituts séculiers.

II.—LES CONCLUSIONS ET DÉCISIONS DU CONGRESSO

37. Ainsi que nous l'avons signalé ci-dessus, deux experts ont été appelés à donner leur avis motivé, au cours d'un Congresso qui s'est tenu au siège de cette Congrégation. Leurs arguments rejoignent ceux des consulteurs et doivent se grouper autour des mêmes points sur lesquels s'est prononcé l'organe collégial du Dicastère.

1° - La "consécration spéciale" des membres d'I.S. ne peut être remise en cause.

38. Les experts fondent leurs affirmations spécialement sur les principes doctrinaux, tout en mentionnant les aspects métaphysiques et spirituels de la question. Ils rappellent que les Instituts séculiers constituent essentiellement un état de perfection ou de consécration reconnu par l'Église, et ils s'appuient pour cela sur l'enseignement du Magistère et la praxis suivie en ces dernières décennies.39. Pour les Instituts séculiers, comme pour les Instituts religieux, "leur nature même exige l'engagement à la chasteté parfaite dans le célibat - ce qui exclut nécessairement les personnes mariées (formaliter ut sic) - à la pauvreté et à l'obéissance".

40. "L'enseignement et la praxis de la sainte Église, jusqu'au Concile et aux discours les plus récents du Saint-Père, ont déterminé très clairement la nécessité de la profession effective des trois conseils évangéliques ... profession que des personnes mariées ne peuvent émettre".

Et pour écarter toute équivoque sur ces conseils, une précision s'ajoute:

41. "Il ne s'agit pas de n'importe quel conseil de l'Évangile, mais des conseils évangéliques "typiques"; c'est-à-dire de la chasteté dans le célibat, de la pauvreté et de l'obéissance, assumées comme forme stable de vie, au moyen du vœu ou autre lien sacré reconnu par l'Église dans un Institut. C'est ce qui caractérise le membre d'Institut séculier dans le monde, le distinguant d'un simple baptisé. Les textes constitutionnels des Instituts séculiers, à savoir Provida Mater (I, §§ 1-3), Primo feliciter (II), Cum Sanctissimum (VIII a.b), de même que les discours pontificaux, ne laissent aucun doute sur cette "consécration" qui qualifie le séculier dans le monde".

42. Il importe donc de réaffirmer ce principe fondamental que la profession des trois conseils évangéliques confère une "consécration spéciale", enracinée dans celle du baptême et la complétant. Or, "l'élément essentiel et constitutif de réalité qui consacre à Dieu dans la vocation d'un Institut de perfection, c'est la chasteté parfaite ... Alors que pauvreté et obéissance - spécialement dans les Instituts séculiers - ¬peuvent être nuancées ..., la chasteté parfaite s'impose comme élément indispensable d'appartenance totale au Seigneur".

43. Et l'expert continue: "Nous sommes là au centre de la vocation spécifique ... caractérisant essentiellement un Institut séculier et ses membres proprement dits. Si, même inconsciemment, on en venait à exclure la réalité qui est au coeur de la 'nouveauté' du printemps de grâce dans le monde que sont les Instituts séculiers, la 'vocation spéciale' qui en est à la base n'aurait plus sa raison d'être dans l'Église".

44. Ainsi donc les consulteurs, les experts et le Congresso s'accordent à confirmer la même conclusion: le don de Dieu qu'est la "consécration spéciale" impose aux membres proprement dits des Instituts séculiers la profession des conseils évangéliques, et, partant, la chasteté parfaite dans le célibat.

2° - Les personnes mariées dans les I.S. sont des membres au sens large.

45. La possibilité pour des personnes mariées d'appartenir à un Institut séculier ne peut être mise en doute. Ainsi que le remarquait un expert au Congresso: déjà Provida Mater l'admettait - indirectement, en parlant des "associés qui désirent appartenir à l'Institut comme membres au sens strict" (P.M. III, § 3). Cela revenait à dire que d'autres pourraient appartenir à l'Institut comme membres au sens large. De fait, une telle éventualité a été explicitement affirmée par l'Instruction Cum Sanctissimus (VII, a). I1 résulte toutefois de ces documents constitutionnels qu'il y a diversité d'appartenance, une diversité justement et essentiellement spécifiée, dans le fait d'embrasser à un degré plus ou moins élevé chacun des conseils évangéliques. Sans aucun doute, cela se rapporte tout spécialement au conseil de chasteté: si la chasteté dans le célibat "pour le Royaume" est absolument indispensable pour des membres au sens strict, cette exigence n'est pas requise pour des membres au sens large, lesquels peuvent être en conséquence des personnes mariées. Si le mode d'appartenance à un Institut séculier se base surtout sur la profession effective du conseil de chasteté, il s'ensuit qu'on ne pourra jamais supprimer toute distinction, ni assimiler totalement les membres mariés aux membres célibataires. Autrement dit, les personnes mariées sont nécessairement des membres au sens large dans les Instituts séculiers. C'est là une conclusion normale, admise d'emblée, tant par les consulteurs que par l'organe collégial de cette Congrégation.

46. Faut-il en déduire qu'une telle distinction dans l'appartenance des membres à un Institut séculier suppose des mesures rigides telles, qu'on ne puisse envisager une étroite participation des uns à la vie des autres? A cet égard, les expériences sont diverses et les avis assez nuancés. Les conclusions des consulteurs reflètent différentes tendances, en ce qui concerne par exemple les conditions d'admission, ou bien la participation au gouvernement de l'Institut. Tenant compte de cette variété, les experts et le Congresso invitent à poursuivre prudemment cette expérience de vie.

47. Mais, étant donnée l'impossibilité d'introduire des membres mariés dans un Institut "à parité de droits et de devoirs" avec les membres au sens strict, on a pu se demander s'il ne convenait pas d'envisager une formule nouvelle pour les conjoints. On a alors examiné l'éventualité d'Associations de personnes mariées.

3° - Vers des Associations avec des personnes mariées ?

48. Ainsi que l'ont montré les réponses des consulteurs, les Associations de personnes mariées, ou avec des personnes mariées, correspondent à un mouvement d'actualité, dans le contexte de l'appel universel à la sainteté dont parle le Concile (L.G. 5). De leur côté, les experts ont montré l'opportunité "d'affronter concrètement cette réalité, parce que là aussi, le souffle de l'Esprit pousse ou appelle à la perfection de la charité, en choisissant les moyens que Lui-même juge adaptés à notre temps".

49. Le Congresso a donc considéré le problème avec la plus grande attention, afin de tenir compte des aspirations profondes et légitimes qui voudraient donner naissance à de tels groupements. I1 a reconnu la nécessité d'aider, soutenir, guider éventuellement ce nouveau genre d'Associations. Mais, en ce domaine comme en bien d'autres, c'est l'expérience de la vie qui suggère, précise et perfectionne ... I1 est donc prématuré d'entrevoir les modalités pratiques qui permettraient l'éclosion de ces nouvelles "pousses" dans l'Église. La conclusion du Congresso, affirmant l'opportunité de prendre éventuellement en considération les Associations avec des personnes mariées, n'en garde pas moins sa valeur et suscite des espérances pour l'avenir, tandis qu'est rappelée clairement l'excellence de la consécration dans le célibat (cf. L.G. 42).

10 mai 1976.

A l'occasion du XXXe Anniversaire de Provida Mater Ecclesia

 

1. "Il y a, précisément aujourd'hui, trente ans l'Église catholique célébrait un événement qui a communiqué à de nombreux de ses fils le charisme de cette fête de la Présentation de Jésus au Temple, c'est-à-dire de l'offrande du Christ à la volonté du Père.

2. Nous désirons en effet rappeler un anniversaire qui tombe aujourd'hui: il y a trente ans, le 2 février 1947, l'Église reconnaissait une forme nouvelle de vie consacrée, lorsque notre Prédécesseur Pie XII promulgua la Constitution Apostolique Provida Mater.

3. Une forme nouvelle, différant de celle de la vie religieuse non seulement par une autre manière de réaliser la sequela Christi mais aussi par une façon diverse d'assumer le rapport Église-monde, certainement essentiel pour toute vocation chrétienne (cf. Gaudium et Spes, 1).

4. Trente années ce n'est pas beaucoup, mais la présence des Instituts séculiers est déjà très importante dans l'Église, et nous vous convions à vous unir à nous dans nos remerciements au Père des cieux pour ce don qu'il nous a fait.

5. Et nous voulons envoyer à tous et à chacun, homme ou femme, nos salutations, empreintes de bénédictions".

Rome, 2 février 1977.

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